Phyllidula — La forme des grenouilles à naître 1984-1985
Phyllidula — La forme des grenouilles à naître, la dernière grande sculpture en bois de Bill Reid, met l’accent sur la grenouille, que l’artiste décrit comme « l’intermédiaire omniprésent entre les deux mondes des Haïdas, la terre et la mer ». Avec des jambes repliées, un dos rigide et une longue langue tendue vers l’extérieur, Phyllidula semble douce et souple et en position pour faire un geste imprévisible, avec ses yeux hémisphériques protubérants. À la fois humoristique et délicate, Phyllidula tire la langue vers nous d’une manière délicieusement moqueuse. La sculpture compte quelques caractéristiques haïdas classiques, notamment les lèvres graphiques, les narines et la langue allongée, de couleur rouge, qui contrastent avec le corps vert. Sa forme en ronde-bosse asymétrique et naturalisée est libre de toute contrainte. Phyllidula affirme une présence résolument contemporaine.
La grenouille amphibie est une figure allégorique inspirante pour l’artiste : un être capable d’occuper deux mondes à la fois, simultanément. La forme des grenouilles à naître évoque l’existence et l’évolution d’univers qui ne peuvent pas évoluer de manière indépendante : des mondes qui créent des possibilités grâce à leur enchevêtrement mouvant, une zone de contact. Au milieu des années 1980, même si la maladie de Parkinson limite ses capacités, Reid est au cœur de plusieurs projets importants, dont la production de Phyllidula. Martine J. Reid (née en 1945) se souvient des difficultés éprouvées par son mari en sculptant cette œuvre en particulier. « Le bois « tourmentait » Bill, dit-elle, et il était assailli de cauchemars. »
Le titre Phyllidula souligne les connaissances de Reid sur un éventail vaste et pointu d’œuvres littéraires anglaises. Celles-ci l’inspirent profondément et il est capable d’exprimer son opinion avec passion, humour et compétence sur ses différentes influences littéraires. Il adore la poésie et peut citer d’innombrables sources, qu’elles soient américaines, européennes ou d’ailleurs. Dans le cas de cette œuvre, il fait allusion aux paroles du poète américain Ezra Pound, semant la confusion sur l’identité de Phyllidula dans le monde de Reid. Dans le poème de Pound, il s’agit d’une créature amoureuse à qui les dieux ont accordé bien du plaisir.
George Rammell (né en 1952) constate que Reid emploie la littérature anglaise pour « relocaliser les grands récits des Haïdas dans une mer linguistique de jeux de mots et de métaphores ». Il se rappelle les bouffonneries provoquées par Reid quand il a placé Phyllidula, « son corbeau sardonique en cèdre dans le corps d’une grenouille », sur un chariot à roues pour ensuite faire une « balade humoristique dans Granville Island […] avec son œuvre en laisse comme un animal de compagnie haïda obéissant ». Cela contraste avec les observations faites par Robert Bringhurst dans The Raven Steals the Light qui écrit : « Entrer et sortir de l’eau, entrer et sortir de la bouche, la grenouille en sait plus que les autres créatures quant au caractère insaisissable des choses, de même que sur les pouvoirs de la sexualité et de la transformation ». Maître de nombreuses attrapes, Bill Reid envoûte et divertit son public avec son jeu de devinettes.