Loo Taas 1986
Loo Taas est un canot pour l’océan de 15,2 mètres en cèdre rouge commandé pour l’Expo 86 de Vancouver. Il a été conçu par Bill Reid et construit à Skidegate par une équipe dévouée de sculpteurs, sous la direction de Tucker (Robert) Brown, pendant l’hiver 1985-1986. Sa proue et sa poupe comportent un dessin d’épaulard créé et peint par l’artiste haïda Sharon Hitchcock (1951-2009). En réponse à la demande de Reid d’avoir un nom signifiant « dévoreur de vagues », Kaadaas gaah Kiiguwaay (clan Raven-Wolf), la matriarche Hazel Stevens établit son nom haïda à partir de loo (vague) et taas (manger). Son histoire remonte à huit cents ans, quand l’arbre de soixante-treize mètres dans lequel il a été sculpté commence à pousser à Haida Gwaii. L’histoire de Loo Taas se poursuit encore aujourd’hui alors qu’il continue de participer aux événements importants de la communauté haïda.
À Ottawa, Reid commence à s’intéresser à la fabrication de canots en voyant un spécimen de la côte du Nord-Ouest du dix-neuvième siècle, peint par Daxhiigang (Charles Edenshaw, 1839-1920) et entreposé au Musée national de l’homme (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire). Voulant en savoir davantage, l’artiste étudie d’autres exemples et lit des ouvrages spécialisés, accumulant des connaissances sur cette forme d’art qui, depuis des siècles, est au cœur de la culture haïda, mais qui, pour lui, représente toujours une énigme. Il commence rapidement à fabriquer un canot lui-même afin d’acquérir une connaissance pratique des méthodes et processus traditionnels. Au début de la décennie 1980, Reid commence à travailler avec le sculpteur haïda Guujaaw (né en 1953) et le sculpteur kwakwaka’wakw Simon Dick (né en 1951) pour construire un canot côtier de 7,5 mètres. Loo Taas est fabriqué peu après.
L’histoire de Loo Taas est remarquable. L’Ancienne de la communauté et activiste haïda GwaaGanad (Diane Brown) s’en rappelle : « C’était vraiment emballant. Personne n’avait fabriqué de gros canot à Skidegate depuis plus de 100 ans. Le jour où [Bill] l’a traité à la vapeur pour l’ouvrir, tout le village est sorti. » Une fois ses fonctions terminées à l’Expo 86, Loo Taas est ramené à la pagaie le long de la côte à partir de Vancouver, suivant des routes de commerce et s’arrêtant dans plusieurs villages sur son parcours. Chaque arrêt génère un « accueil chaleureux » et précipite des festins de célébration. Des segments du périple sont mouvementés, mais Loo Taas s’avère immanquablement digne de naviguer sur la mer. Mystérieusement, son arrivée lors d’une grande célébration fastueuse à Skidegate se déroule exactement au même moment que la victoire des Haïdas dans son mouvement passionné de protection des forêts de Gwaii Haanas. En 1989, il est envoyé à Rouen en France : une délégation de Haïdas remonte la Seine dans le canot qui est ensuite exposé au Musée de l’homme à Paris. Puis, en 1998, il exauce le souhait de Reid de transporter ses cendres jusqu’au lieu de son dernier repos : le village autrefois peuplé de T’aanuu à Haida Gwaii. Il vogue encore.
En début de carrière, Reid croyait que les modèles sociaux nécessaires pour produire du grand art haïda étaient irrémédiablement perdus dans le passé. Loo Taas lui offre l’occasion d’être témoin du contraire. Chaque étape de fabrication et d’utilisation du canot demande à son peuple de renouer avec qui ils sont et d’adopter, aujourd’hui, les connaissances et les usages ancestraux. Comme l’artiste le proclame, « l’art occidental commence avec la figure, l’art indien de la côte Ouest commence avec le canot ». Grâce à ses liens avec les Haïdas, Reid a fait renaître une composante dynamique de cette culture en même temps qu’essentielle à la santé et à la beauté permanentes de la société haïda. C’est Reid qui l’a fait apparaître, comme un poème pieux, mais sa naissance a été pensée pour ceux qui avaient réellement besoin d’elle.