Épaulard 1982
Le mot haïda désignant un épaulard est skaana, ou « être spirituel », car ces animaux constituent la forme visible primaire du grand monde des esprits sous la mer. Épaulard de Bill Reid a le dos arqué, à la manière d’un bossu, en préparation pour un plongeon profond dans les puissantes vagues. Sculptée en 1982, cette œuvre minuscule en buis, tenant dans la main, sert d’inspiration au bronze monumental Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin), installé en 1984 devant l’Aquarium de Vancouver au Stanley Park. Dans cette interprétation finale, l’épaulard est en équilibre au-dessus d’eaux calmes qui s’apparentent à un miroir et il semble en attente d’y replonger avec force.
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Bill Reid et Jim Hart avec le modèle en plâtre de Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin) (1984), v.1982-1984, photographie de Tony Westman.
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Le modèle en plâtre et les plans pour Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin) (1984), v.1982-1984, photographie de Tony Westman.
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Un assistant d’atelier travaillant sur Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin) (1984), v.1982-1984, photographie de Tony Westman.
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Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin), 1984, en cours d’assemblage, v.1982-1984, photographie de Tony Westman.
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Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin), 1984, en cours d’assemblage, v.1982-1984, photographie de Tony Westman.
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Bill Reid, Chief of the Undersea World (Chef du monde sous-marin), 1984, plâtre, 518,2 x 203,2 cm, Musée de l’histoire, Gatineau.
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Cérémonie de dévoilement de Skaana—Killer Whale, Chief of the Undersea World (Skaana, l’épaulard, chef du monde sous-marin) à l’Aquarium de Vancouver, 2 juin 1984, photographie de Tony Westman.
En passant de la version miniature à la monumentale, Bill Reid continue d’appliquer dans son travail les stratégies de l’orfèvre. Pour le grand bronze coulé, il préconise une finition accordant la même attention précise aux « couches profondes de relief linéaire » qu’à celles d’un bijou. En demeurant fidèle aux enseignements haïdas, l’artiste recommande de prendre des précautions à chaque instant de la création et avec chaque partie invisible, car, ultimement, l’œuvre n’est pas destinée qu’aux yeux humains, mais bien à ceux des êtres surnaturels et des ancêtres. Comme George Rammell (né en 1952) le formule : « les habitants surnaturels de l’océan […] sont omniprésents à travers les réalités de l’échelle et de l’emplacement ». Reid croit que Daxhiigang (Charles Edenshaw, 1839-1920) est son guide posthume, surveillant et jugeant la qualité de son travail. Ce n’est que lorsqu’il sent qu’il a « sculpté pour extraire tous les compromis d’un projet » qu’il peut affirmer fièrement que « Charlie l’aurait voulu ainsi ».
L’épaulard apparaît sans cesse dans les œuvres de Bill Reid, parfois sous forme de boucles d’oreilles se balançant délicatement, parfois sous forme peinte ou dessinée. En 1984, il représente l’épaulard dans son illustration « Nanasimgit and His Wife » (« Nanasimgit et sa femme ») dans le cadre de l’ouvrage sur les mythes haïdas, The Raven Steals the Light, qu’il a coécrit. Dans le mythe de Nanasimgit et sa femme, Nanasimgit trouve une épouse parmi « les filles des autres qui vivent dans la mer ». Tout au long du récit, de nombreuses transformations ont lieu et les personnages prennent différentes formes. À titre d’exemple, l’épouse de Nanasimgit arrive au village sous la forme d’un nuage puis se transforme en femme magnifique lorsque la grand-mère l’invite à entrer dans la maison. Dans l’illustration, Reid représente Nanasimgit et son épouse chevauchant l’épaulard. Ici et dans d’autres mythes haïdas, cet animal marin est un véhicule à la fois de transformation et de transition entre le monde des humains et celui des esprits, de même qu’une intarissable source de fascination pour l’artiste.