Sans titre (Nerfs no 1) 1993
Cette œuvre tire son origine de clichés représentant une masse dense de racines que Betty Goodwin a pris lors de vacances en République dominicaine en 1992. « J’étais quelque part où l’océan avait repoussé la terre à un point tel qu’il avait créé une petite falaise, a-t-elle raconté à Robert Enright. Au sommet de la falaise, il y avait une forêt. Lorsque les arbres se trouvaient tout près du bord, on pouvait voir toutes les racines descendre. C’est de là que viennent les nerfs. J’ai aimé l’image. Je l’ai agrandie et j’ai travaillé à partir de là. Je l’ai revendiquée pour ce dont j’avais besoin. »
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Betty Goodwin, Untitled [Nerves No. 5] (Sans titre [Nerfs no 5], 1993
Pastel à l’huile, goudron, cire et impression Cronaflex sur pellicule Mylar translucide, 131,6 x 196 cm
Musée d’art contemporain de Montréal
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Betty Goodwin, Nerves No. 10 (Nerfs no 10), 1993
Pastel à l’huile, goudron et cire sur épreuve chromogène, 221,5 x 171,5 cm
Musée des beaux-arts de Montréal
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Betty Goodwin, Passing Through (Traverser) de la série Nerves (Nerfs), 1994
Eau-forte sur papier japonais, 80,2 x 60,6 cm
Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto
Une version recadrée de cette photographie constitue la trace préliminaire à partir de laquelle elle extrapole plusieurs pièces semblables dans la série Nerves (Nerfs), 1993-1995. Dans ces œuvres, Goodwin transforme le système racinaire dense en une analogie du réseau sous-cutané des fibres nerveuses du corps, symbole de son énergie vitale. L’artiste tire parti de la couleur rouge terreuse caractéristique de nombre de ses œuvres et, dans certaines œuvres, elle ajoute des éléments métalliques pour donner forme à la fois à la matière vivante du corps et à son destin final dans la terre, lorsqu’elle commence à considérer le système dense de nerfs comme des artères vitales. Dessinant sur la photographie recadrée, elle allonge une figure pour son dernier repos, le long d’une ligne de démarcation qui définit le dessus et le dessous du sol, mais qui détermine aussi deux domaines – celui du corps physique et de son énergie interne, et celui du corps en tant que lieu de l’expérience et de la mémoire. La figure semble à la fois s’enfoncer dans la terre et être nourrie par elle dans un échange.
Comme elle l’a fait pendant des décennies, Goodwin collecte des images, des objets et des phrases tirées de divers textes qui se retrouvent souvent dans ses œuvres des années plus tard, comme dans Sans titre [Nerfs no 1]. Ces éléments constituent une source d’inspiration, voire de provocation, et deviennent des matériaux concrets dans son travail. Dans les années 1990, Goodwin incorpore fréquemment des photographies agrandies imprimées sur Mylar comme base préliminaire à ses dessins. À cet égard, elle poursuit sa pratique qui consiste à répondre à des traces existantes. Cependant, elle recourt aussi à une méthode différente dans un processus de transformation qui aboutit à une nouvelle image.
Poursuivant la fusion de la photographie et du dessin dans cette phase de son travail, Goodwin démontre une fois de plus l’ouverture avec laquelle elle identifie les matériaux qui conviennent le mieux à sa conception du corps comme étant à la fois le site de notre corporalité vulnérable et le lieu de nos états existentiels. Pour la première fois dans son œuvre, dans Sans titre [Nerfs no 1], le corps est au repos – il ne lutte pas pour maintenir sa verticalité ou pour flotter, il ne disparaît pas dans une fragilité spectrale, et ne se recroqueville pas dans une douloureuse posture d’auto-défense, il est simplement relâché dans un cycle de vie et de mort.