Sans cesse la terre tremble faiblement 1988
Un jeu de surface plane et d’éléments sculpturaux, comme on le voit dans cette œuvre, témoigne du désir de Betty Goodwin de pousser continuellement son art pour atteindre une présence physique et psychologique toujours plus palpable. Au milieu des années 1980, elle se concentre sur la réalisation de grands dessins et s’efforce de trouver des moyens d’expression plus matériels et plus directs. Les objets qu’elle collectionne dans son atelier lui servent d’inspiration, notamment des morceaux de ferraille brute et des barres d’acier qui l’intéressent pour leurs qualités immuables de force et de rigidité. Elle commence à trouver des manières d’incorporer ces éléments improbables dans des dessins : la forte solidité de l’acier sert à souligner la répétition hésitante des lignes de dessin caractéristiques de la main de l’artiste, une accumulation de gestes d’où émerge un sens de la vulnérabilité du corps. Goodwin considère ces objets métalliques comme des formes d’énergie qu’elle peut intégrer à l’acte de dessiner pour dépasser les limites de la représentation graphique bidimensionnelle.
Une fine tige d’acier est suspendue au centre de Sans cesse la terre tremble faiblement, caractéristique des tentatives de Goodwin d’aborder les thèmes de la torture et de l’enfermement en donnant une forme irréfutable à la brutalité. Elle regarde attentivement les journaux télévisés du soir et collectionne les coupures de presse et de magazines sur l’actualité, portant notamment sur les luttes politiques mondiales, comme la guerre civile au Salvador (octobre 1979-janvier 1992). Pourtant, les scènes de ces images photographiques auxquelles elle s’expose sont moins les sources de ses œuvres que l’impulsion qu’elle donne à l’intériorisation de leur signification et à l’exorcisation de leurs effets.
Le titre, qui apparaît dans le carnet de Goodwin en 1987 comme une citation non attribuée, implique une déstabilisation ou une menace subliminale implacable. La figure semble avoir les bras liés, incapable de se protéger des coups, tandis qu’une large barre tracée en travers du cou obscurcit son visage, séparant métaphoriquement la tête du corps. La tige d’acier intégrée au milieu de la composition est accentuée par des lignes dessinées indiquant un champ de mouvement ou de vibration autour de la figure et évoquant la présence constante d’un danger près d’un corps sans défense. Dans cette œuvre et dans les dessins qui s’y rapportent, tels que Figure Lying on a Bench (Figure allongée sur un banc), 1987, Goodwin réitère l’incapacité des représentations réalistes à incarner pleinement la gravité des événements. Plutôt que d’offrir une narration cohérente, elle exprime les excès dans une rencontre entre l’acier tridimensionnel solide et la surface transparente sur laquelle la figure plane délicatement. Sans cesse la terre tremble faiblement témoigne du désir de Goodwin de pousser le dessin au-delà de sa capacité descriptive muette.