En Télécharger le livre Tous les livres d’art Accueil

Au café (Mabel Lockerby) v. 1929

Prudence Heward, Au café (Mabel Lockerby), v. 1929

Prudence Heward, Au café (Mabel Lockerby) (At the Café (Miss Mabel Lockerby)), v. 1929
Huile sur toile, 68,5 x 58,4 cm
Musée des beaux-arts de Montréal

Art Canada Institute, Studio portrait of Gluck, 1926
Portrait de Gluck, 1926, photographie de E. O. Hoppé.
Art Canada Institute, Otto Dix, Portrait of Journalist Sylvia von Harden, 1926
Otto Dix, Portrait de la journaliste Sylvia von Harden (Bildnis der Journalistin Sylvia von Harden), 1926, huile et tempera sur bois, 121 x 89 cm, Centre Georges-Pompidou, Paris.

Le tableau Au café (Mabel Lockerby) (At the Café (Miss Mabel Lockerby)) illustre un thème privilégié par de nombreux artistes européens de sexe masculin dans les années 1920 : une dame assise seule dans un café, sujet qui symbolise la liberté accrue des femmes et leur quête de solitude dans les lieux publics. L’artiste allemand Otto Dix (1891-1969), par exemple, peint en 1926 la journaliste Sylvia von Harden attablée à un café. Dans le tableau de Dix, le sujet tient entre ses longs doigts une cigarette, symbole de l’émancipation de la femme en Europe et en Amérique du Nord, et sa robe à carreaux noirs et rouges contraste violemment avec l’arrière-plan rose vif, un coloris semblable à celui du tablier porté par le sujet de Rollande, peint la même année.

 

La femme représentée dans Au café est la peintre Mabel Lockerby (1882-1976) qui fréquente, comme Heward, le milieu artistique montréalais ainsi que les expositions et activités sociales du Groupe de Beaver Hall. Lockerby porte un veston à l’allure de couvre-tout d’un rouge vibrant par-dessus un chemisier bleu marine. Son visage a cette expression grave que l’on retrouve dans nombre de portraits de Heward, mais aussi le teint rosé des sujets de Femme sur une colline (Girl on a Hill), 1928 et de Rollande, 1929. Le sujet n’est pas une artiste naïve et inexpérimentée, mais bien une femme indépendante et peut-être lasse du monde.

 

Fait étonnant dans le corpus de Prudence Heward : on aperçoit à l’arrière-plan des silhouettes sombres. Portant manteaux foncés et feutres mous, on pourrait croire qu’il s’agit d’hommes, mais la peintre a peut-être voulu nous faire croire qu’il s’agit de femmes travesties. L’artiste anglaise lesbienne Gluck (1895-1978), née Hannah Gluckstein dans une famille juive aisée, est souvent photographiée portant des vêtements très semblables à ceux des personnages à l’arrière-plan du tableauF. En voyant dans ces deux silhouettes des femmes androgynes, il est possible de soutenir une interprétation lesbienne et féministe de Au café, une œuvre qui traite de la présence accrue des femmes dans les lieux publics fréquentés à l’époque presque uniquement par les hommesF.

 

Au café est sans doute le tableau le plus moderniste de Prudence Heward : non seulement fait-il appel à un vocabulaire propre à l’art déco, il représente aussi une artiste seule, dans un lieu public, et laisse supposer la présence d’homosexuels. Il pourrait être pertinent de rappeler que le procès pour obscénité intenté contre Radclyffe Hall pour son roman The Well of Loneliness (publié en français sous le titre Le puits de solitude en 1932), un classique de la littérature lesbienne, avait eu lieu en Angleterre en 1928. C’est depuis ce procès que la cigarette, le monocle et les vêtements masculins ou androgynes, par exemple, sont interprétés comme des signes d’identité lesbienneF.

Télécharger Télécharger