Ruines d’Emmerich, Allemagne 1945
En sa qualité d’artiste de guerre officielle, Molly Lamb a l’occasion de voyager et de documenter le paysage européen dès la fin des hostilités. À l’été 1945, après trois semaines de travail dans un studio de Londres, elle est dépêchée sur le continent pour six semaines, avec voiture, chauffeur et carte blanche pour aller où bon lui semble. Ces six semaines, dira-t-elle, sont parmi les plus riches et les plus intéressantes de sa vie.
Pour l’essentiel, les sujets choisis par Lamb diffèrent peu de ceux qu’elle a traités jusqu’à présent au Canada. Ce sont des scènes généralement paisibles se déroulant sur les bases militaires du Service féminin de l’Armée canadienne (CWAC) en Hollande et en Belgique, par exemple. Il arrive cependant qu’elle dépeigne les séquelles de la guerre. Plusieurs croquis et aquarelles donnent à voir des villes et villages dévastés par les bombes, tel le paysage carbonisé de Ruines d’Emmerich, Allemagne. Dans ces œuvres, elle maintient toujours une distance psychologique à l’égard de ses sujets. Ruines d’Emmerich, Allemagne présente une femme seule, debout dans la cour ravagée d’une église. Le traitement étant peu détaillé, on ne sait pas de qui il s’agit : une femme du village ou une employée d’une organisation humanitaire, peut-être. Un graffiti sur le mur fait référence à la troisième division de l’infanterie canadienne, surnommée « les rats d’eau » par le général Bernard Montgomery, qui a combattu à Emmerich. L’encre, le graphite et le fusain confèrent à la scène de Ruines d’Emmerich, Allemagne une tonalité sombre qui évoque la violence de la guerre et la terrible destruction des villes qui doivent maintenant amorcer leur lente reconstruction.
Dans la même veine, son aquarelle Ruins, Holborn Street, London (Ruines, rue Holborn, Londres), 1945, montre des maisons éventrées par les bombes dans la capitale britannique. Dans cette funeste rue, éclairée par un seul bec de gaz, quelques femmes s’attroupent autour des décombres d’un mur de briques. Le croquis de Lamb, Wilhelmshaven at Night (Wilhelmshaven la nuit), 1945, et son aquarelle German Children in Bremen, Germany (Enfants allemands à Brême, Allemagne), 1945, témoignent des pertes humaines de la guerre. Le premier montre trois officiers de l’armée en train de contempler la ville en ruines, prenant la mesure des dégâts. Dans la seconde, un groupe d’enfants est réuni autour d’un officier. La guerre en a-t-elle fait des orphelins? Ou sont-ils à la recherche de nourriture et d’un toit? Lorsqu’elle traite de sujets violents, Lamb dépeint toujours des villes en ruines à la tombée de la nuit.
Bien qu’elle ait visité le camp de concentration de Bergen-Belsen et vu les tas d’ossements qui s’y trouvaient, Lamb se sent incapable de dépeindre des scènes qui lui inspirent tant d’horreur, comme le fait son collègue Alex Colville (1920-2013) dans Bodies in a Grave, Belsen (Corps dans une fosse, Belsen), 1946. D’autres peintres de guerre, notamment Bruno Bobak (1923-2012) que Lamb épousera bientôt, ont la même réaction. Bien qu’elle soit affectée par la dévastation et les traumatismes indescriptibles de la guerre, elle s’abstient de les mettre en image.