Dîner pour une personne 1994
Mary Pratt déclare en 1994 que « vivre seule rend l’œuvre plus puissante ». Celle-ci, Dîner pour une personne, est exemplaire du recours à l’imagerie domestique chez l’artiste pour commenter directement sa vie personnelle, plutôt que la vie quotidienne plus commune partagée par tant de personnes. Pourtant, comme c’est souvent le cas dans l’œuvre de Pratt, plus une pièce est personnelle, plus elle semble universelle.
Ce tableau doit être envisagé à la lumière de l’œuvre fondamentale de Pratt, The Supper Table (Table du souper), 1969. Toutes deux s’inscrivent dans une tradition au long cours de l’histoire de l’art occidental fondée sur le genre de la nature morte, dans lequel une scène quotidienne se trouve magnifiée, enrichie d’une signification. Dans Table du souper, le chaos le plus souvent heureux d’une vie avec des enfants est dépeint dans tout son désordre : la satisfaction et la fatigue d’un bref moment de paix avant que le tourbillon de la vie ne reprenne.
Dans Dîner pour une personne, Pratt présente plutôt une vie tranquille et ordonnée qui semble immuable. Un repas modeste est disposé avec soin sur une table en bois poli : une petite assiette blanche, une salade de pâtes dans un récipient Tupperware, un plat à gratin en porcelaine blanche et un plat de fruits divers. L’assiette est posée sur un napperon, à côté de couverts et d’une serviette en tissu. Le verre d’eau est rempli d’un liquide pâle et doré — du vin, peut-être, ou du jus. On soupçonne que le plat de fruits en porcelaine à motifs bleus est disposé en permanence sur la table, plutôt qu’il n’a été ajouté pour ce repas précis.
Pendant des décennies, la peinture de Pratt s’est attachée à dépeindre la vie quotidienne d’une famille, en montrant comment elle change à travers le temps. La table du souper représente une maison pleine, qui se vide dans les années 1980, après que les enfants Pratt aient grandi et qu’ils volent de leurs propres ailes. Une œuvre complémentaire à Dîner pour une personne est Breakfast Last Summer (Déjeuner l’été dernier), 1994, qui représente l’image d’une autre table dressée pour un repas, cette fois pour deux. Elle aurait été dressée juste avant le divorce des Pratt, et la décision prise par Mary de peindre les deux scènes en 1994 révèle une certaine qualité diaristique. Comme Pratt le dit souvent à propos de son travail : « Je vois quelque chose, il faut que je l’aie, il faut que je le garde, il faut que je le peigne. Et puis, quand je commence à peindre, je réalise pourquoi. »