Bien enraciné dans sa ville natale de Winnipeg, Lionel LeMoine FitzGerald (1890-1956) a travaillé presqu’exclusivement au Manitoba, où il capte l’essence des Prairies par son art. Bien qu’il accepte, en 1932, l’invitation à devenir membre du Groupe des Sept, FitzGerald n’est pas aussi préoccupé à promouvoir les questions identitaires canadiennes que le sont les autres membres du groupe. Il explore plutôt son environnement, analysant avec profondeur les forces de la nature qu’il considérait comme animées et unifiées, pour créer « l’image d’un être vivant ». D’une personnalité calme, FitzGerald a inspiré une génération entière d’étudiants de la Winnipeg School of Art.
Premières années
Lionel LeMoine FitzGerald est né le 17 mars 1890 à Winnipeg, au Manitoba. Bien que cette région des Prairies soit essentielle à la compréhension de son univers artistique, les racines familiales de FitzGerald sont établies dans l’est du Canada. Son père, Lionel Henry FitzGerald (1864-1943), a été élevé par des membres de sa famille à Québec portant le nom de Le Moine. Pour témoigner sa gratitude, Lionel Henry a donné à son aîné leur nom de famille en plus du sien.
En 1888, Lionel Henry FitzGerald épouse Belle Hicks (1864-1940), qui, à l’âge de seize ans, avait quitté l’Ontario avec sa famille pour s’installer dans la communauté agricole de Snowflake dans le sud du Manitoba. Les parents de LeMoine FitzGerald l’amènent souvent, ainsi que son frère Jack (né en 1893) et sa sœur Geraldine (née en 1896), à la ferme familiale des Hicks. Ces visites joueront un rôle capital dans le développement de sa relation avec la nature. « Les étés passés à la ferme de ma grand-mère, dans le sud du Manitoba, ont été de merveilleux moments passés à explorer les bois et les champs, et les fortes impressions laissées par ces vacances ont inspiré de nombreux dessins et peintures de date ultérieure. »
Winnipeg, au tournant du vingtième siècle, est un centre florissant du commerce et de l’agriculture de l’Ouest canadien, mais la ville demeure isolée sur le plan culturel, n’ayant ni galerie d’art publique ni école d’arts — bien que le théâtre de Winnipeg, qui peut accueillir mille personnes, ait ouvert ses portes en 1897. Les premières initiatives dans le domaine des arts visuels voient toutefois le jour avec la fondation de la section winnipégoise de la Women’s Art Association of Canada en 1894 et de la Société des artistes du Manitoba en 1902.
L’enseignante de troisième année de FitzGerald lui fait découvrir les reproductions de tableaux des livres Perry Pictures. En septième année, à la Somerset School, il prend plaisir aux leçons de dessins tirées d’un populaire cahier d’exercices, le Prang’s New Graded Course in Drawing for Canadian Schools. Sur la base d’entretiens et de conversations, le critique d’art Robert Ayre imagine FitzGerald comme un enfant « rêveur » qui aime « observer la terre, non pas pour l’étudier comme en géologie ou en botanique, non pas pour la classifier, mais pour la regarder, pour s’en imprégner, pour la ressentir, pour faire que la vie de la terre fasse partie de lui-même. »
Formation artistique
En 1904, à l’âge de quatorze ans, FitzGerald obtient son diplôme de huitième année de la Victoria Public School et, pour les deux prochaines années, travaille comme garçon à tout faire pour la société pharmaceutique Martin, Bole et Wynne. Entre 1907 et 1908, il est commis junior pour la société de courtage immobilier Osler, Hammond et Nanton, travail qu’il interromp pendant une courte période pour travailler dans un studio d’art commercial avant de retourner à la société de courtage. Une impatience face à la routine quotidienne du travail clérical semble avoir provoqué son désir de dessiner. « L’un des premiers efforts, en plein air, a été le dessin d’un grand orme et je me souviens qu’un ami et moi avions fait de grands préparatifs et parcouru une longue distance pour trouver un sujet intéressant. » C’est là le point de départ d’une carrière artistique qui reposera presqu’entièrement sur une observation étroite de la nature dans le but d’en comprendre les forces dynamiques sous-jacentes qui, selon FitzGerald, animent tout être vivant.
Lorsque la Bibliothèque publique de Winnipeg (alors appelée Bibliothèque Carnegie) a ouvert ses portes sur la rue William en 1905, de nouveaux horizons se sont ouverts pour l’adolescent précoce. FitzGerald se souvient plus tard de « livres étranges […] lus à ce moment-là en essayant d’apprendre quelque chose sur l’art. » Les écrits de l’artiste et critique d’art britannique John Ruskin (1819-1900) ont notamment une influence formatrice sur FitzGerald et guident ses réflexions sur la façon dont un débutant pourrait s’y prendre pour commencer à peindre. FitzGerald met en pratique les leçons de dessin proposées par Ruskin et se plonge dans la reproduction de peintures de John Constable (1776-1837) et J. M. W. Turner (1775-1851), qu’il considère comme « une sorte de dieu. » Les aquarelles de Richard Parkes Bonington (1802-1828), reproduites dans The Studio: An Illustrated Magazine of Fine & Applied Art, fascinent le jeune FitzGerald de seize ans au point qu’il éprouve l’envie profonde, en 1906, de faire une copie à l’aquarelle de A Street in Rouen (Une rue à Rouen).
La prochaine étape de l’éducation artistique de FitzGerald est de recevoir l’enseignement d’un artiste qualifié. En mars 1909, il s’inscrit aux cours donnés par le peintre hongrois Alexander Samuel Keszthelyi (1874-1953), qui est arrivé à Winnipeg en passant par Munich, Vienne, et l’institut Carnegie à Pittsburgh, en Pennsylvanie. L’École des beaux-arts A.S. Keszthelyi offre des cours de « dessin et peinture de modèle vivant, décoration, composition et portrait. » FitzGerald est emballé. « L’hiver tout entier a été une expérience merveilleuse. Je me demande encore comment il a été possible de découvrir tant de choses en si peu de temps. »
Son talent naissant de dessinateur s’observe dans deux dessins au fusain réalisés en 1909, Seated Man (Homme assis) et Bust of a Man (Buste d’un homme) dont on croit qu’ils datent du cours de modèle vivant à l’école de Keszthelyi. Le dessin étant le véritable fondement de la carrière artistique de FitzGerald, peu importe le moyen d’expression qu’il choisit, ses premiers cours de modèle vivant et de nature morte lui permettent de se développer en tant qu’artiste.
Premières influences
L’année 1912 marque un tournant dans la vie de FitzGerald. À la fin de novembre, il s’enfuit secrètement avec Felicia (Vally) Wright (1883 ou 84-1962), de six ans son aînée, pour éviter toute interférence de ses parents dans son projet de mariage. Vally est une soprano de formation qui gagne sa vie en donnant des cours de chant et en chantant dans des chœurs d’église. Les possibilités d’emploi sont limitées pour les artistes canadiens en herbe et, au moment de son mariage, FitzGerald commence à travailler au sein du département artistique d’une agence de publicité de Winnipeg.
L’entrée de FitzGerald dans le monde de la publicité marque « le début de neuf années passées à faire une grande variété de travaux, dont des dessins publicitaires, des peintures murales et des croquis pour décoration d’intérieur, des affiches et des fonds de fenêtres, des scénarios, des lettrages, etc. En plus de me donner une expérience précieuse considérable, c’était un moyen agréable de gagner sa vie. » Certes, les exigences de l’entreprise commerciale lui imposent l’utilisation d’une grande variété de moyens d’expression, mais ce qui commence à vraiment intéresser FitzGerald est la peinture à l’huile. Sa réaction devant la panoplie d’objets qui composent l’attirail du peintre est viscérale. Il se souvient comme il était tout excité de sentir l’huile, de mélanger les couleurs sur sa palette, et d’utiliser une brosse, qui semblait si peu commode par rapport à la pointe aiguë du crayon. Bien qu’il travaille encore au crayon et à l’aquarelle, les paysages à l’huile commencent à dominer son travail.
Au début de la Première Guerre mondiale, l’expérience d’observation de FitzGerald est alimentée principalement par les images des écoles de Barbizon et de La Haye, deux mouvements paysagistes populaires et extrêmement conservateurs dans l’Europe du dix-neuvième siècle. Il a probablement pris connaissance de ces travaux en 1910, à l’Art Institute, lors d’un bref séjour à Chicago. En 1912, FitzGerald a partagé un atelier avec l’artiste Donald Macquarrie (1872-après 1934), le premier conservateur (décembre 1912-mars 1913) de la toute nouvelle Winnipeg Art Gallery et le compagnon de croquis de FitzGerald au cours de l’été. La prédilection esthétique de Macquarrie pour l’artiste de Barbizon Jean-Baptiste-Camille Corot (1796-1875), évidente dans la peinture à l’huile Landscape with Oak Trees (Paysage avec chênes), s. d., a pu influencer la série de petits monotypes de scènes urbaines et de paysages de FitzGerald tel que Tree (Arbre), 1914.
Mais FitzGerald commence à être tenté par l’impressionnisme. Il travaille maintenant en plein air à l’occasion, encouragé peut-être par son amie winnipégoise la peintre Mary Ewart (née Clay) (1872-1939), qui a étudié dans les années 1890 avec l’impressionniste américain William Merritt Chase (1849-1916). Néanmoins, la connaissance qu’a FitzGerald de l’impressionnisme français est de seconde main, par son étude des reproductions en noir et blanc dans le magazine The Studio et son homologue américain, The International Studio, ou par le biais de quelques peintures d’artistes impressionnistes canadiens aux expositions itinérantes de l’Académie royale des arts du Canada ou de la Ontario Society of Artists. Reflections (Reflets), 1915, est une première tentative d’un traitement impressionniste du paysage révélant des effets de taches lumineuses sur l’eau et laissant supposer que FitzGerald connaît alors des sujets similaires, tel que Le pont du chemin de fer, Argenteuil, 1874, peint par le grand maître de l’impressionnisme français, Claude Monet (1840-1926). En 1918, FitzGerald vend un tableau d’inspiration impressionniste, Late Fall, Manitoba (Fin d’automne, Manitoba), 1917, au Musée des beaux-arts du Canada. Sa compréhension de l’impressionnisme se développe rapidement, et deux peintures aux couleurs vives — Summer, East Kildonan (Été, East Kildonan), 1920, et Summer Afternoon, The Prairie (Après-midi d’été, les Prairies), 1921 — marquent le point culminant de sa jeune carrière.
Nouvelles orientations
Les années 1920 marquent un changement dans l’orientation artistique de FitzGerald. La grève générale de Winnipeg en 1919, réaction à l’augmentation fulgurante du coût de la vie et à des salaires extrêmement bas, témoigne de l’incertitude de l’époque. Malgré tout, en janvier 1920, FitzGerald décroche un emploi auprès de l’artiste américain Augustus Vincent Tack (1870-1949), qui est chargé de l’exécution d’une peinture murale dans le Palais législatif du Manitoba, à Winnipeg. Les deux artistes travaillent ensemble jusqu’à l’achèvement de l’allégorie en juillet 1920. FitzGerald apprend de Tack que le dessin est la structure sous-jacente sur laquelle une peinture est construite, et dans les années 1930 et 1940, FitzGerald adopte parfois la technique de Tack, soit celle d’utiliser des petits carrés de couleur qui se chevauchent.
La commande de Tack donne de la visibilité à FitzGerald sur la scène artistique locale de Winnipeg et l’aide à sécuriser sa première exposition solo à la Winnipeg Art Gallery en 1921. L’exposition est un succès commercial et critique : dix-huit œuvres sont vendues, dont la plus dispendieuse, Après-midi d’été, les Prairies, 1921, achetée par le Comité de la galerie d’art de la Winnipeg Art Gallery pour 300 $. Le critique littéraire et rédacteur William Arthur Deacon compose une critique enthousiaste, et conclue : « Winnipeg sera très fière que M. FitzGerald soit né ici, et devrait déjà l’être. »
En novembre 1921, FitzGerald déménage à New York pour étudier les arts alors que Vally s’installe près de Montréal avec leurs jeunes enfants, Edward (né en 1916) et Patricia (née en 1919). Elle se trouve un emploi à The Rip Van Winkle, une auberge-salon de thé, pendant que FitzGerald suit des cours à l’Art Students League of New York de décembre 1921 jusqu’à la fin de mars 1922, dont le cours de l’artiste né au Canada Boardman Robinson (1876-1952), « Dessin et composition picturale », et celui de Kenneth Hayes Miller (1876-1952), « Dessin et peinture de modèle vivant pour homme ». Robinson et Miller, deux peintres figuratifs traditionnels compétents, ont aidé FitzGerald à perfectionner ses habiletés à l’atelier de dessin. Son exposition à la peinture moderne provient cependant de conversations avec les autres étudiants et de visites des galeries commerciales et des musées locaux, dont la galerie Wanamaker, où il a sans doute vu le travail des précisionnistes américains en mars 1922. Cette expérience a probablement inspiré sa remarque ultérieure au critique d’art Robert Ayre, auquel il a confié avoir été « soudainement secoué par tout. »
Un moderniste isolé
De retour à Winnipeg, FitzGerald se voit proposer en 1924 un poste de professeur à la Winnipeg School of Art où il enseigne la composition, le dessin à partir de moulages de plâtre de sculptures classiques, et la nature morte. C. Keith Gebhardt (1899-1982), un Américain qui avait enseigné au programme d’été de l’école de l’Art Institute of Chicago, est le directeur de l’école. Les deux hommes se lient d’une amitié profonde, fondée sur l’admiration mutuelle et une même passion pour le dessin. Les délicates études au crayon de Gebhardt, tirées de scènes urbaines ou de paysages locaux, inspirent FitzGerald qui se plonge encore plus ardemment dans le dessin, la technique qu’il préfère. Pendant quelques années, il se concentre principalement sur le dessin au stylo et au crayon alors qu’il cherche le moyen de consolider ce qu’il a appris à New York. La gravure à la pointe sèche, et plus tard sur linoléum, s’avèrent des ajouts importants à son arsenal technique. Il continue à faire du travail commercial et conçoit également les décors pour The Community Players de Winnipeg, un groupe de théâtre local.
En 1927, FitzGerald revient à la peinture avec le petit, mais significatif Williamson’s Garage (Le garage de Williamson), 1927. À bien des égards, ce tableau est un parfait exemple de la conviction de l’artiste selon laquelle il est possible de trouver un sujet de peinture adéquat dans sa cour. Cette modeste scène d’hiver précède d’un an ce que l’on peut qualifier de premier tableau important de FitzGerald, Pritchard’s Fence (La clôture de Pritchard), v. 1928. Ces peintures se caractérisent par l’exacte harmonie du dessin et de la peinture qui marquera son style mature et assurera sa réputation dans le monde de l’art canadien.
Keith Gebhardt a écrit : « Du point de vue artistique, Winnipeg était plutôt terne au cours de ma résidence. » Alors que cela aurait pu constituer une faiblesse, le fait d’être isolé à plutôt permis à FitzGerald de développer de manière indépendante ses propres théories artistiques. Ainsi, au moment où il rencontre l’artiste torontois Bertram Brooker (1888-1955) à Winnipeg en juillet 1929, et bien qu’il profite de toutes les occasions pour discuter d’art avec ce collègue vif et brillant, les idées de FitzGerald sont mûres. Brooker constitue un lien vers les activités du Groupe des Sept et le milieu artistique plus actif de l’est du Canada. Les deux artistes se lient d’une amitié profonde, qui transparaît dans leur correspondance étendue marquée par les lettres manuscrites élégantes de FitzGerald et les missives dactylographiées à simple interligne de plusieurs pages de Brooker.
FitzGerald admire de loin les peintures et les activités du Groupe des Sept et connaît l’un des membres du groupe, Frank H. Johnston (1888-1949), qui a été directeur de la Winnipeg School of Art de 1921 à 1924. À la fin des années 1920, le groupe remarque FitzGerald. Lawren Harris (1885-1970), notamment, exprime son enthousiasme pour les dessins de FitzGerald et amorce une correspondance pour lui faire part de son admiration après la première exposition solo de FitzGerald dans l’est du Canada, au Arts and Letters Club de Toronto en 1928. « J’apprécie particulièrement la façon dont, à partir d’une scène objective tirée de la nature, vous dégagez dans vos dessins l’impression d’une structure ou d’un esprit céleste. » C’est le début d’une amitié qu’ils entretiendront toute leur vie, caractérisée par une compréhension et un encouragement mutuel. Lorsqu’ils se rencontrent finalement à Vancouver en 1942, Harris continue d’admirer dans l’œuvre de FitzGerald ce qu’il perçoit comme une évocation du mystique. De son côté, FitzGerald apprécie chez Harris « la finesse de sa conception, la beauté de sa couleur sobre et la délicatesse de son savoir-faire. »
Au-delà de Winnipeg
En 1929, FitzGerald est nommé directeur de la Winnipeg School of Art. L’un des premiers défis auxquels il est confronté, et qu’il aborde dans un rapport adressé au conseil d’administration le 15 janvier 1931, est l’effondrement du marché boursier en octobre de cette même année et l’impact éventuel de ces conséquences économiques désastreuses sur l’inscription des étudiants : « Le nombre d’étudiants inscrits à l’heure actuelle est de 296 contre 320 à la même date l’année dernière. Bien que les effectifs soient un peu inférieurs à ceux de l’année dernière, la fréquentation dans les différentes classes est meilleure qu’à l’habitude. »
Malgré cette période difficile, c’est avec optimisme que FitzGerald s’attelle à sa première tâche en tant que directeur — se mettre à l’affût des derniers développements en matière d’enseignement des arts. De juin à juillet 1930, il visite Minneapolis, Chicago, Pittsburgh, Washington D. C., Philadelphie, New York, Montréal, Ottawa et Toronto, et se familiarise avec des galeries d’art et les programmes éducatifs de plusieurs grands musées nord-américains. Pour un artiste qui voyage rarement, l’exposition à de grandes œuvres d’art peintes par des maîtres modernes, tels que Gustave Courbet (1819-1877), Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Claude Monet (1840-1926), Georges Seurat (1859- 1891), et en particulier Paul Cézanne (1839-1906), aura un effet profond et durable. Le journal qu’il tient pendant cette période témoigne de sa réaction enthousiaste aux œuvres de ces artistes, notamment celles de l’Art Institute of Chicago et du Metropolitan Museum of Art de New York, où cinq tableaux de Cézanne, provenant du legs Havemeyer, l’ont impressionné pour leur « formidable sens de l’unité … Et toujours un grand sens de la réalité, peu importe le niveau d’abstraction du sujet. »
En 1930 et en 1931, FitzGerald est invité à participer aux expositions du Groupe des Sept au Musée des beaux-arts de Toronto (maintenant le Musée des beaux-arts de l’Ontario.) Untitled [Stooks and Trees] (Sans titre [moyettes et arbres]), 1930, est un exemple des paysages que FitzGerald peint à cette période et que le groupe a probablement admiré pour sa capture de la quintessence de la prairie du Manitoba par une chaude journée d’été. Lorsqu’en 1932 le groupe décide d’augmenter son effectif, c’est à l’unanimité que les membres choisissent FitzGerald, seul artiste de l’Ouest canadien à avoir jamais été envisagé. FitzGerald accepte et devient ainsi le dixième artiste à devenir membre du groupe depuis sa création. Bien que cela rehausse sa confiance en lui, FitzGerald demeure à l’écart du groupe en raison de la distance géographique, mais aussi à cause de son esthétique personnelle qui n’est pas fondée sur la conception du paysage comme véhicule du nationalisme canadien. En tant que membre, FitzGerald n’expose avec le groupe qu’une seule fois avant sa dissolution en 1933. Celui-ci se réorganise et une nouvelle entité voit le jour, le Groupe des peintres canadiens, dont FitzGerald est l’un des membres fondateurs. »
Pour FitzGerald, les relations formelles entre les lignes, la couleur et les formes dans une image sont fondamentalement plus importantes que le sujet. L’unité, l’équilibre et l’harmonie sont les objectifs essentiels de son art. En juin 1931, il termine enfin Doc Snyder’s House (La maison du docteur Snyder). Cette œuvre, qui représente la maison de son voisin, a demandé beaucoup d’effort et un an et demi de travail, mais elle donne à FitzGerald la satisfaction de savoir que c’est là l’une de ses meilleures peintures à l’huile. L’artiste atteint sa vitesse de croisière à l’approche et au début de la quarantaine, ne créant pas moins d’une douzaine de peintures à l’huile parmi les meilleures de sa carrière, dont Apples, Still Life (Pommes, nature morte), 1933, et plus particulièrement The Pool (L’étang), 1934. Les qualités d’abstraction de ces tableaux sont revisitées lorsque FitzGerald abandonne toute notion de sujets spécifiques se rapportant à un site donné, au cours des années 1950.
Un dépaysement
L’occasion d’une « nouvelle phase » surgit de façon inattendue au cours de l’été 1942 lorsque FitzGerald et sa femme s’aventurent au-delà des limites familières de leur maison manitobaine. Leur fille Patricia possède un chalet qu’ils n’ont pas encore visité, à Bowen Island près de Vancouver. Le but de ce voyage est de prendre une pause de son travail, mais les paysages côtiers et montagneux fascinent FitzGerald et lui inspirent des dessins qui le renforcent dans son idée que tout, dans la nature, est interconnecté.
FitzGerald retourne dessiner et peindre à Bowen Island au cours des deux étés suivants. Il utilise l’aquarelle et les crayons de couleur pour représenter différents sujets observés au bord de la mer, tels que des roches ou du bois de grève. Il se penche sur le microcosme de la nature, avec ses interrelations complexes de formes, par lesquelles la grève devient un univers d’éléments à ordonner. FitzGerald considère la nature comme une entité vivante et organique, ce qui demande à l’artiste de l’aborder comme un ensemble organisé et unifié, une perspective illustrée par le dessin Driftwood (Bois de grève), 1944.
Les responsabilités de FitzGerald à la Winnipeg School of Art sont de plus en plus exigeantes, bien que les 271 étudiants inscrits en 1943-1944 soient moins nombreux que pendant les années de dépression du début des années 1930. Une série de douze autoportraits, qui datent probablement de 1945, révèlent un artiste tourmenté et angoissé, comme le montre, par exemple, l’expression tendue dans la seule peinture à l’huile parmi onze aquarelles, Self-Portrait (Autoportrait), v. 1945. Bien que la raison de la tension de FitzGerald ne soit pas certaine, un facteur en cause, mis à part sa frustration de ne pas avoir plus de temps pour son art, est peut-être la fin de son idylle de longue date avec Irene Heywood Hemsworth (1912-1989), une ancienne étudiante de la Winnipeg School of Art. Ses difficultés déclenchent une maladie qui l’empêche d’enseigner ou d’accomplir tout travail pendant environ trois mois. Il décide de ne pas retourner en Colombie-Britannique à l’été 1945, et il n’achève aucune œuvre majeure en 1946, empêché par sa léthargie qui continue.
En septembre 1947, FitzGerald peut prendre une année de congé de l’école. Il reçoit un an de salaire pour exercer son art à plein temps et, en novembre, les FitzGerald quittent Winnipeg pour passer l’hiver sur l’île de Vancouver, à Saseenos, à environ trente et un kilomètres à l’ouest de Victoria, sur le bassin de Sooke. Ils demeurent dans un chalet au bord de l’eau, ce qui est parfait pour travailler dehors. Le luxe de pouvoir prendre le temps de s’éloigner donne un nouvel élan à FitzGerald qui envisage de nouvelles orientations pour son travail. Par exemple, le dessin Four Apples on Tablecloth (Quatre pommes sur une nappe), 17 décembre 1947, se rapproche de l’abstraction tout en conservant des références au monde naturel — une tendance dont ses œuvres post-1950 portent la marque.
Une année de congé supplémentaire lui est accordée en avril 1948 pour l’année académique 1948-1949, et FitzGerald démissionne officiellement de la Winnipeg School of Art au début de 1949. Étonnamment, cette nouvelle liberté suscite une période de doute. En dépit de ces débuts remarquables à l’huile, à la fin des années 1940, FitzGerald remet en question son aptitude à peindre. La peinture à l’huile n’est certainement pas la technique qu’il préfère, peut-être parce que le dur travail qu’implique l’application de petits coups de pinceau sur la toile va à l’encontre de son désir de capter l’apparence changeante de la nature. FitzGerald écrit à son ami intime Arnold Brigden (1886-1972) de Vancouver : « Ai travaillé sur une petite toile (9 x 18) connais des moments d’extase et des heures d’incertitude couplées de moments où je suis convaincu que c’est horrible — en d’autres mots, la routine habituelle. »
Il fait face à ce défi dans un studio installé dans son garage, avec entre autres résultats, Geranium and Bottle (Géranium et bouteille), 1949, minutieusement exécuté, avec une attention soutenue portée aux distorsions observées lorsqu’on regarde à travers du verre. Le succès connu à petite échelle donne à FitzGerald la confiance nécessaire pour envisager des peintures plus ambitieuses, ce qui mène à l’une de ses réalisations phares, From an Upstairs Window, Winter (D’une fenêtre d’en haut, l’hiver), v. 1950-1951. Cette œuvre superbe illustre l’harmonie entre les éléments abstraits et naturalistes qu’il a recherchée tout au long de sa carrière.
De la figuration à l’abstraction
Bien que FitzGerald flirte avec certains aspects de l’abstraction depuis des années, ce n’est qu’en 1950, encouragé peut-être par l’exemple de Lawren Harris, qu’il réalise les premiers tableaux qui semblent s’éloigner de sujets identifiables. « L’abstraction offre l’occasion tentante de saisir l’essence presque incommunicable du monde — les forces de l’ordre, manifestes à un niveau plus terre-à-terre (visuel) dans les pétales d’une fleur ou les spirales d’une coquille ». Il est maintenant disposé à peindre de mémoire plutôt qu’à partir d’observations. « J’utilise maintenant cette accumulation de connaissances dans une peinture de nature abstraite où je peux laisser régner l’imagination libérée de l’insistance des objets vus, en utilisant des couleurs et des formes sans référence aux formes naturelles. » Brazil (Brésil), v. 1950-1951, est l’une des premières peintures abstraites de FitzGerald et elle a fait partie de la soumission du Musée des beaux-arts du Canada à l’exposition biennale de São Paulo de 1951.
À la fin de sa carrière, FitzGerald alterne entre les œuvres abstraites et le type de figuration caractéristique de ses œuvres précédentes. À la fin de 1954 et jusqu’à la fin de 1955, FitzGerald crée un certain nombre de dessins et d’aquarelles de nature morte représentant des pommes, des bouteilles et des jarres qui rappellent son travail des années 1940, et qui mènent à la réalisation de la dernière œuvre phare de sa carrière, Still Life with Hat (Nature morte avec chapeau), 1955. Ce tableau peut être considéré comme un autoportrait symbolique — il s’agit en effet du chapeau que FitzGerald porte parfois lorsqu’il va faire des croquis sur la prairie. L’œuvre est cependant refusée par un jury composé de ses pairs pour l’exposition de 1956 du Groupe des peintres canadiens, et ce revers lui cause sans doute une grande déception.
La contribution de FitzGerald aux arts à Winnipeg est toutefois soulignée lorsque l’Université du Manitoba lui décerne un doctorat honorifique en droit, en 1952. Et lorsqu’il est membre du jury de l’Exposition nationale canadienne à Toronto en 1953, il s’émerveille d’être traité avec respect par ses collègues et d’être accepté « comme un peintre vivant, et non pas comme un “vieux chapeau”. »
FitzGerald meurt d’une crise cardiaque à Winnipeg le 5 août 1956, à l’âge de soixante-six ans. Le service commémoratif à Winnipeg inclut une lecture de Leaves of Grass (Feuilles d’herbe) de Walt Whitman. Dans le respect de ses volontés, les cendres de FitzGerald sont dispersées dans les prairies qu’il aimait, à Snowflake au Manitoba. L’année suivante, une salle commémorative en son honneur est inaugurée à la Winnipeg Art Gallery. Suivie en 1958 par la FitzGerald Memorial Exhibition (Exposition commémorative FitzGerald) organisée par la Winnipeg Art Gallery et le Musée des beaux-arts du Canada. En 1959, une plaque commémorative publique montée sur un rocher est dévoilée sur les terrains de la mairie de St. James, près du quartier winnipégois où FitzGerald a vécu. Ce monument a ensuite été déplacé au coin nord-ouest de Bruce Park, à Winnipeg. Parmi les nombreux hommages à cet important artiste canadien, c’est peut-être celui de Lawren Harris qui capte le mieux la quintessence de l’homme. « Il était par nature et par nécessité, plutôt solitaire. Il avait une profonde douceur qui cachait une fermeté intérieure constante. Il influençait les autres par sa présence qui était celle d’un saint artiste. »