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General Idea photographie, sculpte et peint, mais est particulièrement actif dans des sphères beaucoup moins traditionnelles comme le mail art, la vidéo, la performance, l’installation et le multiple. Pendant ses 25 ans de carrière, toutefois, le groupe restera fidèle à une même démarche conceptuelle.

 

 

Appropriation

L’appropriation est le fil conducteur de nombre des œuvres de General Idea. Le groupe puise aux formes et à l’esthétique de la culture populaire autant que des beaux-arts, qu’il parodie pour tromper les attentes des spectateurs, en revisitant les formes familières, du concours de beauté au pop art, afin de stimuler la réflexion critique.

 

Le FILE Megazine illustre à merveille l’application du procédé à la culture populaire. Le titre, déjà, imite le nom et l’univers visuel de LIFE, magazine photographique américain à grande diffusion. L’imitation, qui va jusqu’à la similarité du logo, fait évidemment réagir LIFE, qui poursuit le groupe en justice. Empruntant de même aux médias de tous genres, General Idea met en scène un bulletin d’informations et une conférence de presse dans Pilot (Pilote), 1977, et se moque, avec Test Tube (Tube à essai), 1979, des magazines d’information, débats et publireportages. Le concept du magasin y passe aussi, comme en témoignent ces premières devantures créées au 78, rue Gerrard Ouest à Toronto, et les boutiques, soit la Miss General Idea 1984 Pavillion Boutique(Boutique du Pavillon de Miss General Idea 1984), 1980, ¥en Boutique (Boutique ¥en), 1989, et la Boutique Cœurs volants, 1994/2001.

 

Art Canada Institute, View of the installation General Idea, Magi© Bullet, 1992
General Idea, Médi©ament miracle, 1992, installation composée de 5000 ballons en Mylar couleur argent, gonflés à l’hélium, mesurant chacun 25 x 65 x 25 cm (gonflés), édition de trois installations plus une épreuve d’artiste, Museum of Modern Art, New York; photographe : General Idea. Lieu : Stux Gallery, New York, 1992 (où seront exposés simultanément Tapis magique, 1992, et En jouant au docteur, 1992, également de General Idea).
Art Canada Institute, Andy Warhol, Silver Clouds, 1966
Andy Warhol (en collaboration avec Billy Klüver), installation intitulée Nuages argentés, 1966 (refabriquée en 1994), pellicules plastiques métallisées gonflées à l’hélium (Scotchpak) mesurant chacune 91,4 x 129,5 cm, Andy Warhol Museum, Pittsburgh. Cette vue est celle de la refabrication des Nuages argentés dans le cadre des séries du Warhol Museum présentées à la Mostra SESC de Artes, São Paulo, Brésil, 2002.

 

Le monde de l’art est lui-même source d’appropriation. Avec XXX (bleu), 1984, le groupe pastiche les gestes d’une performance signée par l’artiste français Yves Klein (1928-1962), utilisant justement l’International Klein Blue, célèbre couleur éponyme. Magi© Bullet (Médi©ament miracle), 1992, une installation composée de multiples, dans ce cas, un grand nombre de ballons en forme de gélules gonflés à l’hélium, est une appropriation des Silver Clouds (Nuages argentés), 1966, d’Andy Warhol.

 

Les peintures de General Idea font souvent allusion à des œuvres phares du vingtième siècle. Ainsi de la série Infe©ted Mondrian (Mondrian ©ontaminé), 1994, qui renvoie aux motifs abstraits qui ont fait la renommée du peintre néerlandais Piet Mondrian (1872-1944). Quant à la série Mondo Cane Kama Sutra, 1984, elle reflète entre autres les couleurs et l’esthétique du minimaliste américain Frank Stella (né en 1936). Mais la plus célèbre des appropriations reste le logo AIDS (sida), contrefaçon du LOVE, 1966, de l’artiste américain Robert Indiana (né en 1928), icône du pop art. Après une peinture intitulée AIDS (SIDA), 1987, General Idea utilisera le logo dans toute une gamme d’œuvres qui sont autant de commentaires sur la crise mondiale du sida.

 

 

Mail Art

Art Canada Institute, General Idea, Manipulating the Self (Phase 1 – A Borderline Case), 1970
General Idea, Manipuler soi-même (Phase 1 –Situation limite), 1970, impression offset sur papier, 25,3 x 20,3 cm, édition d’environ 200 exemplaires, collections diverses.
Art Canada Institute, General Idea, Manipulating the Self (Manipulating the Scene), 1973
General Idea, Manipuler soi-même (Manipuler la scène), 1973, photolithographie offset couleur sur papier vélin, 73,8 x 58,5 cm, édition de 65 exemplaires plus épreuves d’artistes, signés (timbre de caoutchouc) et numérotés, collections diverses.

Le mail art (art posté) est l’un des moyens privilégiés par le groupe à ses débuts. Né dans les années 1950, il se pratique encore. Le nom vient de ce que les œuvres sont créées précisément pour circuler par la poste. Elles sont produites à petite échelle et diffusées grâce à des réseaux d’affiliations, semblables aux lettres-chaînes, qui couvrent souvent de vastes distances.

 

De fait, General Idea est lié à de nombreux praticiens du mail art partout dans le monde. « Nous recevions du courrier de toute l’Amérique du Nord […], d’Europe, d’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud, du Japon, d’Australie et parfois même de l’Inde », rappelle AA Bronson. « Nous en avons reçu de Gilbert & George, de Joseph Beuys, de la Factory de Warhol, de Ray Johnson, de quelques adeptes du Fluxus, et d’autres. » Plutôt associé au pop art, l’américain Ray Johnson (1927-1995) est aussi un protagoniste du mail art, dont il crée le premier réseau délibéré, auquel il donne le surnom parodique de New York Correspondance [sic] School (école de correspondance new-yorkaise). General Idea correspond en outre avec le collectif vancouvérois Image Bank, fondé par Michael Morris et Vincent Trasov.

 

Le mail art englobe toutes sortes d’images et de textes, mais surtout les images de production de masse, souvent manipulées par collage, timbrage et photocopie. La technique, résolument en marge de la production artistique traditionnelle axée sur une quelconque maîtrise technique, court-circuite, voire rejette, le système des galeries commerciales puisque l’œuvre, diffusée par la poste, crée son propre public. Le mail art favorise l’anticonformisme et la démocratisation des formes. Deux slogans populaires qu’ils ont formulés à l’époque — Collage or perish (colle ou meurs) et Cut up or shut up (découpe-la ou ferme-la) — font écho à l’intérêt du trio pour le détournement d’objets trouvés.

 

Dear General Idea, If I live to be a hundred, I’ll never forgive myself for… (Cher General Idea, si je vis jusqu’à cent ans, je ne me pardonnerai jamais de…), 1972, est l’une des premières œuvres de mail art de General Idea. Présentée sous forme de questionnaire ou d’apologie en une page, elle génère 43 réponses. Les destinataires sont invités à répondre à l’invite en cochant une ou plusieurs des 40 suites proposées, parmi lesquelles « D’avoir perdu mon temps » et « De ne pas vous avoir mieux connu ».

 

Art Canada Institute, General Idea, Dear General Idea, if I live to be a hundred I’ll never forgive myself for…, 1972
General Idea, Cher General Idea, si je vis jusqu’à cent ans, je ne me pardonnerai jamais de…, 1972, impression offset sur papier bond, 28 x 21,5 cm, édition d’environ cent exemplaires, non signés et non numérotés, photographe : The Gas Company.
General Idea, Cher General Idea, si je vis jusqu’à cent ans, je ne me pardonnerai jamais de…, 1972.

 

Les pseudonymes sont l’un des éléments essentiels des réseaux de mail art. Il s’agit souvent de véritables jeux d’identité, qui passent par les calembours et des noms illogiques ou saugrenus. C’est ainsi qu’au début des années 1970, les membres de General Idea adoptent progressivement les surnoms AA Bronson, Jorge Zontal et Felix Partz.

 

The 1971 Miss General Idea Pageant (Le concours Miss General Idea 1971), 1971, est le plus élaboré et le plus connu des projets de mail art du groupe. Seize artistes-concurrents sont invités à participer à ce concours de beauté satyrique au moyen de The 1971 Miss General Idea Pageant Entry Kit (Trousse d’inscription au concours de beauté Miss General Idea 1971), 1971. La trousse, présentée dans une boîte marquée d’un logo en sérigraphie, contient The Miss General Idea Gown (Robe de Miss General Idea), 1971, une tenue en taffetas brun que les concurrents doivent revêtir. Les destinataires y trouvent également le règlement du concours et des objets assortis donnant une idée de l’histoire (réelle et inventée) de l’événement. Treize artistes répondent à l’invitation et présentent des photos d’eux-mêmes (ou de mannequins) arborant la robe, qui seront évaluées par les juges du concours.

 

Art Canada Institute, General Idea, The Miss General Idea Pageant Entry Kit, 1971
General Idea, Trousse d’inscription au concours de beauté Miss General Idea 1971, 1971, techniques mixtes, dimensions inconnues, édition d’environ 16 exemplaires, non signés et non numérotés, éléments des trousses originales, collections diverses.

 

Dans les années 1960 et 1970, publications et bulletins divers permettent aux artistes du mail art de se trouver les uns les autres. C’est une forme d’art qui non seulement atteint de nouveaux publics, mais documente les projets en cours. Les premiers numéros du FILE Megazine, fondé par General Idea en 1972, présentent les œuvres d’artistes marquants comme Ray Johnson et Robert Cumming (né en 1943). FILE est incontournable : le magazine comporte en effet un répertoire des adresses postales des artistes intéressés par les réseaux de correspondance et publie les listes des demandes d’images d’Image Bank jusqu’en 1975, invitant les artistes à fournir les leurs et à utiliser celles de la banque pour en favoriser la circulation. Au milieu des années 1970, FILE devient progressivement un projet artistique en soi, abandonnant sa fonction de bottin du mail art. Cette réorientation reflète l’évolution générale de ce courant.

 

General Idea n’en continue pas moins de collectionner le mail art par l’intermédiaire d’Art Metropole, un centre d’artistes autogéré, fondé par le trio en 1974 à Toronto. Créé entre autres pour absorber le volume de mail art et d’objets collectionnés par General Idea grâce à FILE, il existe toujours. Comme FILE, d’ailleurs, Art Metropole fait la promotion d’autres artistes, au Canada et à l’étranger, et suscite des réseaux et partenariats nouveaux.

 

 

Art vidéo

La vidéo reste un pivot de l’œuvre de General Idea pendant les 25 années de collaboration des trois artistes. C’est une forme étroitement liée à l’intérêt de ces derniers pour les performances, et celles-ci seront justement l’objet de quelques vidéos du groupe dans les années 1970.

 

Art Canada Institute, >General Idea filming Light On Documentation, 1971–74.
General Idea filmant Documentation relative à Lumière allumée, 1971-1974; au premier plan, Jorge Zontal, et à l’arrière-plan, Felix Partz, filmant avec une Sony Portapak; photographe : AA Bronson.
Art Canada Institute, General Idea, Double Mirror Video (A Borderline Case), 1971
Arrêt sur image, General Idea, Vidéo au double miroir (situation limite), 1971, vidéo noir et blanc, 5 min 50 sec, collection General Idea.

 

L’avènement de la Sony Portapak permet à une personne seule de porter et d’utiliser un magnétoscope. La portabilité de l’appareil stimule l’usage de la vidéo parmi les artistes. Les membres de General Idea sont captivés par cette nouvelle technique, qu’ils utilisent pour filmer What Happened (Ce qui est arrivé), 1970. En fait, le groupe recourt à la vidéo précisément pour documenter la performance portant ce titre, de même que The 1970 Miss General Idea Beauty Pageant (Le concours de beauté Miss General Idea 1970), 1970, tous deux présentés au Festival of Underground Theatre. L’installation Ce qui s’est passé comporte une projection périodique des images tournées pendant la performance ainsi qu’un dispositif de tournage en circuit fermé. Le Portapak reste l’instrument d’autres projets de l’époque, dont Light on Documentation (Documents relatifs à Light On [Lumière allumée]), 1971-1974, exploration de l’espace en noir et blanc à l’aide de miroirs et de sources lumineuses. À partir des séquences filmées pendant Documents relatifs à Light On (Lumière allumée), General Idea crée Double Mirror Video (A Borderline Case) (Vidéo au double miroir [situation limite]), 1971, qui dure à peine plus de cinq minutes. C’est aussi avec le Portapak que General Idea enregistre The 1971 Miss General Idea Pageant (Le concours de beauté Miss General Idea 1971), 1971.

 

Art Canada Institute, Michael Snow, Wavelength, 1966–67
Arrêt sur image, Michael Snow, Longueur d’onde, 1966-1967, film 16 mm, couleur, son, 45 min, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

Le trio s’inspire entre autres de deux œuvres de Kenneth Anger (né en 1927) : Eaux d’artifice, 1953, un court film expérimental, et Inauguration of the Pleasure Dome (Inauguration du dôme du plaisir), 1954. Les œuvres du Canadien Michael Snow (né en 1928) sont une autre source d’influence, et notamment le célèbre film expérimental intitulé Wavelength (Longueur d’onde), 1967. Les Flaming Creatures (Créatures flamboyantes), 1963, de Jack Smith (1932-1989) et l’essai que Susan Sontag (1933-2004) publie en 1964 sous le titre « Le style Camp » aideront également les membres General Idea à façonner leur propre vision du « camp », cette tendance à « l’artificiel et à l’outrancier ». Bronson explique : « Ces films nous ont essentiellement montré qu’il ne fallait pas éviter le “camp” ni en avoir honte, mais au contraire en embrasser l’idée. »

 

Au moment de se pencher sur la trame narrative de The 1984 Miss General Idea Pageant (Le concours de beauté Miss General Idea 1984) et de Pavillion (Pavillon), qui lui est associé, le groupe utilise à nouveau la vidéo pour faire progresser la fiction de Miss General Idea. Blocking (Encadrement), 1974, présente des séquences d’une performance au Western Front, un centre d’artistes autogéré de Vancouver, où General Idea répète les interventions du public, y compris réactions et sortie, en préparation du concours.

 

Ce dernier est également cité dans la vidéo Cornucopia (Corne d’abondance), 1982, qui présente les ruines du pavillon. En 1977, en effet, General Idea annonce que le pavillon a été détruit par le feu. Corne d’abondance emprunte au style documentaire muséal pour relater la catastrophe fictive de The 1984 Miss General Idea Pavillion (Pavillon de Miss General Idea 1984). Tandis qu’une voix hors champ aligne calembours et allusions grivoises sur un ton docte, la vidéo montre des phallus en céramique qui tournoient, des dessins de caniches et des ziggourats. Certes, ces fragments et ces images reconstituent l’histoire du pavillon, mais ils évoquent plus généralement l’œuvre d’ensemble de General Idea par des allusions à d’autres projets du groupe, y compris Colour Bar Lounge (Salon Mire à barres).

 

Art Canada Institute, General Idea, Cornucopia: Fragments from the Room of the Unknown Function in the Villa Dei Misteri of the 1984 Miss General Idea Pavillion, 1982–83
General Idea, Corne d’abondance : fragments provenant de la pièce à usage inconnu de la Villa dei Misteri du Pavillon Miss General Idea 1984, 1982-1983, installation vidéo, éléments divers et enregistrement vidéo Corne d’abondance, 1982; dimensions d’ensemble de l’installation : 243,8 x 426,7 x 243,8 cm, San Francisco Museum of Modern Art; photographe : General Idea. Lieu : inconnu.

 

Nombre des projets vidéo de la fin des années 1970 et des années 1980 s’attaquent à la télévision, dont General Idea entend détourner les productions les plus courantes. Pilot (Pilote), 1977, Test Tube (Tube à essai), 1979, Loco, 1982, et Shut the Fuck Up (Ferme ta putain de gueule), 1985, sont créés pour être largement télédiffusés, conformément à la logique de General Idea qui est d’« infecter le système ». Pilote, par exemple, suit la structure d’un bulletin de nouvelles pour annoncer l’adoption, par le groupe, du procédé des concours de beauté et incorpore certaines séquences de répétitions avec public déjà filmées. Tube à essai pirate aussi quelques schèmes télévisuels populaires, dont le magazine d’information, le publireportage et l’émission-débat.

 

General Idea contribue au développement et à la diffusion de l’art vidéo au Canada, surtout par la création, en 1974, du centre artistique autogéré Art Metropole, à Toronto. Le centre, qui existe encore, conserve et distribue les vidéos d’artistes à une époque où bien peu d’organismes le font. Il publie le livre Video by Artists (1976), une étude fondamentale sur l’art vidéo au Canada signée Peggy Gale, auteure et conservatrice spécialisée dans les arts médiatiques. Les artistes de General Idea ne perdront jamais cet intérêt pour la vidéo, et leurs productions suivront d’ailleurs le développement technique de ce support.

 

 

Performance

La performance, que l’on appelle aussi art corporel dans les années 1960, utilise le corps comme instrument politique, et suit les principaux courants de l’évolution du théâtre alternatif.

 

Les membres de General Idea se rencontrent à Toronto, à Theatre Passe Muraille, troupe de théâtre progressiste fondée en 1968 par Jim Garrard, dont l’objectif est d’éliminer la distance entre acteurs et public. C’est dans cette mouvance que se croisent AA Bronson, Jorge Zontal et Felix Partz, qui vont bientôt former General Idea. Dans les années 1960, Bronson collabore entre autres à Theatre Passe Muraille en concevant affiches et décors. La performance collective intitulée Laundromat Special #1 (Laverie automatique, édition spéciale no 1), 1969, est la première production commune du trio. Il s’agit d’une série d’actions qui se déroulent dans une pièce décorée d’un énorme sac de coton étiqueté « sac à lessive » qui pend depuis le plafond au-dessus de piles de boîtes de savon. Match My Strike, (un jeu de mots sur « strike my match », c’est-à-dire « craque mon allumette ») présentée en 1969 au Poor Alex Theatre, met en scène Partz, Bronson, Zontal et Mary Gardner, qui manipulent une gamme d’accessoires, y compris de la viande hachée, des briques, du verre, des chandelles et un projecteur de diapositives.

 

Art Canada Institute, Match My Strike, directed by Jorge Zontal and produced by John Neon, Poor Alex Theatre, Toronto, August 30, 1969
Documentation de la performance intitulée Match My Strike, dirigée par Jorge Zontal et produite par John Neon, Poor Alex Theatre, Toronto, 30 août 1969, collection General Idea; photographe inconnu. Les documents promotionnels expliquent les éléments de la performance : « 1) Lecture d’une lettre; elle est ligotée; 2) Danse; 3) Lumières; 4) Cérémonie de la viande : il mange du caoutchouc mousse; 5) Grignotage d’orteil et effondrement du plafond ».

 

The Miss General Idea Beauty Pageant (Le concours de beauté Miss General Idea), qui façonne l’œuvre des années 1970, dérive de What Happened (Ce qui est arrivé), 1970, performance multimédia à multiples niveaux donnée par General Idea (et quelques amis) dans le cadre du Festival of Underground Theatre, une manifestation internationale présentée au St. Lawrence Centre for the Arts et au Global Village Theatre de Toronto. La performance est fondée sur la pièce du même titre écrite en 1913 par Gertrude Stein (1874-1946), qui joue sur la fonction habituelle de l’acteur et du public. La version que propose General Idea en 1970 fragmente l’expérience traditionnelle du théâtre en étalant la performance sur trois semaines, au cours desquelles les acteurs enregistrent leur prestation de multiples façons, en passant par l’esquisse et la vidéo. Pendant l’entracte d’une autre pièce présentée au festival, le trio propose Le concours de beauté Miss General Idea 1970.

 

Art Canada Institute, General Idea, The 1970 Miss General Idea Pageant, 1970
Documentation de la performance de General Idea intitulée Le concours de beauté Miss General Idea 1970, 1970, élément du projet Ce qui est arrivé, 1970, présenté au Festival of Underground Theatre, St. Lawrence Centre for the Arts, Toronto, 1970, collection General Idea; photographe : General Idea. Granada Gazelle, Miss General Idea 1969, couronne Miss General Idea 1970 : Miss Honey.
Art Canada Institute, >A contestant for The 1970 Miss General Idea Pageant, 1970
L’un des concurrents du Concours de beauté Miss General Idea 1970, 1970, élément du projet Ce qui est arrivé, 1970, présenté au Festival of Underground Theatre, St. Lawrence Centre for the Arts, Toronto, 1970; photographe : General Idea. Cinq ou six concurrents arborent un déguisement d’ours, tandis que Miss Honey, la candidate qui remportera le titre, porte une robe en poult-de-soie, une étole de renard et une tiare.

Le concours se déroule dans le foyer du théâtre, sur une petite plateforme entourée de compositions florales extraites des rebuts d’un salon funéraire. Au cours du volet artistique du concours, Miss Honey (Honey Novick), l’une des concurrentes, fait valoir son habileté au téléscripteur. D’autres candidates (Belinda Bear, Danny Bear et Rachel Bear) déguisées en ours, chantent et dansent. Les juges accordent à Miss Honey la couronne de Miss General Idea 1970. Le tout est enregistré sur vidéo. La performance a un retentissement indéniable. À ce sujet, Partz dira : « Les gens étaient plutôt perplexes et se demandaient ce qui se passait. Tout avait l’air si réel, d’autant que Miss Honey était très bonne actrice. »

 

La popularité du concours de beauté interpelle General Idea au point d’orienter le travail du groupe pour les années à venir. Soulignant la malléabilité et l’utilité de la forme, Fern Bayer, conservatrice et historienne de l’art explique : « La formule du concours de beauté a fourni à General Idea un vocabulaire de base, dérivé des clichés culturels de l’époque, qui a permis au trio de s’exprimer sur le glamour, les situations limites, les interfaces entre culture et nature, le rôle de l’artiste comme instrument d’inspiration culturelle, les mythes du monde de l’art et la relation entre l’artiste et la forme ainsi qu’entre l’artiste et le public. »

 

La performance intitulée XXX (bleu), 1984, met en relief les liens entre les artistes, le monde de l’art et les médias, tout en évoquant l’histoire de l’art. Elle a lieu en Suisse, au Centre d’art contemporain Genève. Dans un décor figurant un atelier d’artiste, les membres du trio peignent chacun de grands « X » sur leur toile respective, du bleu appelé International Klein Blue et créé par le Français Yves Klein (1928-1962), réputé pour ses tableaux monochromes de cette couleur. En 1960, Klein réalise une toile en faisant appel à des modèles féminins nus, dont le corps, enduit de peinture, devient instrument artistique. Cette célèbre performance est présentée dans une atmosphère des plus sérieuses : il faut être en tenue de soirée pour voir Klein diriger la chorégraphie des femmes qui peignent avec leur corps au son d’un quatuor de violons. General Idea s’approprie la performance de Klein et en fait un commentaire lourd de sous-entendus, recourant à trois caniches blancs en peluche dégoulinants de peinture bleue pour tracer un X sur chaque toile.

 

Art Canada Institute, General Idea, XXX (bleu), 1984
General Idea, XXX (bleu), 1984, installation issue d’une performance; ensemble de trois acryliques sur toile mesurant chacune 493,5 x 296 cm; ensemble de trois caniches mannequins : paille, fourrure synthétique, acrylique, 74 x 20 x 77 cm chacun selon la taille standard de la race; dimensions d’ensemble : 350 x 988 x 143,5 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. Lieu : Haute Culture: General Idea. A Retrospective, 1969-1994, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto, 2011-2012.

 

 

Installation

Beaucoup d’installations contemporaines sont dites « contextuelles ». Il s’agit en fait d’assemblages de matériaux dont le but est de reconfigurer un espace donné, souvent pour une période déterminée. General Idea produira de nombreuses installations, mais son intérêt pour cette forme culminera dans les années 1990 avec les œuvres liées au VIH/sida.

 

Les premières installations ont pour décor l’appartement du 78, rue Gerrard Ouest, à Toronto. Ainsi, The Belly Store (Le magasin du ventre), 1969, créé en collaboration avec l’artiste John Neon (né en 1944), est présenté dans le salon de l’appartement. Une musique d’ambiance se fait entendre tandis que des « ventres » motorisés se déplacent dans des contenants remplis d’un liquide noir. Cette même année, le groupe présente, dans la même pièce, George Saia’s Belly Food(Aliments pour le ventre de George Saia), 1969, un multiple constitué de bouteilles de plastique étiquetées et remplies d’ouate, vendues sur place depuis un comptoir spécialement fabriqué et équipé d’une caisse enregistreuse. Ce décor préfigure l’exploitation du thème du commerce au moyen d’installations comme La boutique du pavillon de Miss General Idea 1984, 1980, Boutique ¥en, 1989, et Boutique Cœurs volants, 1994/2001.

 

Art Canada Institute, General Idea, Boutique Coeurs volants, 1994/2001
General Idea, Boutique Cœurs volants, 1994/2001, métal laqué, verre, 120 x 120 x 118 cm, collection General Idea. Lieu : exposition Boutique Cœurs volants, galerie Florence Loewy, Paris, du 20 octobre 2000 au 20 mars 2001; la Boutique Cœurs volants proposera 18 des multiples du groupe appelés Dick All (Queue dalle), 1993.
Art Canada Institute, General Idea, Installation view of General Idea, ¥en Boutique, 1989
General Idea, Boutique ¥en, 1989, installation composée de multiples divers, aluminium nid d’abeille, peinture à l’émail, trois trépieds en aluminium, éléments vidéo (Tube à essai, 1979, ou autre), 212 x 315 x 348 cm, Fonds national d’art contemporain, Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris; photographe : General Idea. Lieu : General Idea, Galleria Massimo De Carlo Arte Contemporanea, Milan, 1990.

 

General Idea n’hésite pas à aborder la crise mondiale du sida, notamment avec Fin de siècle, 1990. Cette fois, l’installation emplit la galerie d’une profusion de grands panneaux de styromousse symbolisant un vaste paysage de glaces enchevêtrées. Au cœur de cette scène frappante, trois bébés phoques du Groenland plutôt réalistes, censés figurer les trois artistes, semblent s’ébattre en toute innocence.

 

Dans les années 1990, le trio produit des œuvres inspirées des médicaments mis au point pour combattre le sida. C’est le cas des deux installations intitulées One Day of AZT (Une journée d’AZT), 1991, et One Year of AZT (Une année d’AZT), 1991, souvent montées très proches l’une de l’autre. Une journée d’AZT est composée de cinq gélules en fibre de verre, tandis que Une année d’AZT réunit 1825 petites gélules en styrène moulé sous vide. L’ensemble représente la posologie quotidienne et annuelle, respectivement, de l’antirétroviral prescrit à Partz. Magi© Bullet (Médi©ament miracle), 1992, une autre installation sur le thème des médicaments, se compose de ballons de couleur argent gonflés à l’hélium, qui ont la forme de gélules et portent le nom de General Idea ainsi que le titre de l’œuvre. Les énormes gélules emplissent le plafond de l’espace loué pour l’occasion. Les spectateurs sont autorisés à emporter les ballons dégonflés qui se posent au sol.

 

 

Multiples

Les multiples sont un élément essentiel de l’œuvre et de la pensée de General Idea. Ces articles destinés à l’édition, c’est-à-dire au partage et à la diffusion, sont produits à faible coût et distribués comme des livres plutôt que comme de précieux objets d’art. Les multiples de General Idea épousent des formes et des matériaux très divers, depuis les œuvres sur papier et les affiches jusqu’aux écussons en tissu chenille, en passant par les bagues, écharpes, ballons, napperons et assiettes. Le nombre d’exemplaires varie en fonction de l’intérêt de l’artiste et du contexte du projet. Parfois, il n’y en aura que deux, parfois jusqu’à trois cents. Certains des prototypes de General Idea ne seront même jamais édités.

 

Art Canada Institute, General Idea, AIDS Ring, 1993/96
General Idea, Bague AIDS, 1993/1996, argent sterling, coffret recouvert de velours noir, carton-titre (photocopie sur papier vélin), boîte en carton blanc; boîte : 7 x 6 x 4,5 cm, bagues en diverses tailles; édition de 100 exemplaires plus épreuves d’artiste, signés et numérotés, collections diverses, photographe : Peter MacCallum.
Art Canada Institute, General Idea, Test Pattern: T.V. Dinner Plate, 1988
General Idea, Motif de test : plateau télé, 1988, assiette de porcelaine, boîte de carton, étiquette en impression offset sur papier; boîte : 24,5 x 31 x 2,8 cm, assiette : 20 x 22,5 x 1,5 cm; première édition : 238 exemplaires plus 18 épreuves d’artiste, les 100 premiers exemplaires et les épreuves d’artiste étant signés et numérotés, les autres signés seulement; collections diverses; photographe : Thomas E. Moore.

 

L’attirance du groupe pour les multiples est liée en partie à sa curiosité générale devant le consumérisme. AA Bronson explique : « General Idea était à la fois complice et critique à l’égard des mécanismes et des stratégies qui marient art et commerce. Nous étions un peu comme une taupe dans le monde de l’art. » Le trio fait la promotion de ses multiples grâce à des installations symbolisant le commerce de détail, comme La boutique du pavillon Miss General Idea 1984, 1980, et Boutique ¥en, 1989. La première de ces boutiques a la forme d’un signe de dollar qui trahit ses visées commerciales. Les deux installations sont en fait des stands tout à fait fonctionnels, où les multiples sont vendus. La fondation d’Art Metropole procède de ce même intérêt : inauguré en 1974, l’organisme distribue encore aujourd’hui les éditions de divers artistes.

 

Un grand nombre des multiples de General Idea renvoient aux projets artistiques concomitants du groupe. Ainsi, The Getting into the Spirits Cocktail Book from the 1984 Miss General Idea Pavillion (Le livre des cocktails d’ambiance du Pavillon de Miss General Idea 1984), 1980, est un recueil des recettes concoctées par le groupe pour le Salon Mire à barres, que l’on voit dans la vidéo Tube à essai, 1979. Le trio traduit de même son intérêt pour l’héraldique (exprimé dans une série de peintures où reviennent certains éléments comme le caniche) en une série de multiples sous forme d’armoiries. Eye of the Beholder (L’œil subjectif), 1989, par exemple, est un petit écusson en chenille noir, blanc et rouge figurant un crâne stylisé dont les yeux sont en fait le symbole du droit d’auteur, le tout surmonté du nom du groupe en lettres majuscules.

 

Art Canada Institute, General Idea, Eye of the Beholder, 1989
General Idea, L’œil subjectif, 1989, chenille, broderie sur écusson taillé dans le feutre, 24 x 21 cm, édition illimitée, non signée et non numérotée, collections diverses, photographe : Thomas E. Moore.
Art Canada Institute, General Idea, XXX Voto (for the Spirit of Miss General Idea), 1995
General Idea, XXX Voto (pour l’esprit de Miss General Idea), 1995, publication offset, 128 pages, reproductions couleur, couverture rigide en toile noire marquée chaud de lettres bleues, 14,5 x 11 cm, édition de 900 exemplaires plus une épreuve d’artiste, signés et numérotés (timbre de caoutchouc), collections diverses, photographe : Cathy Busby.

 

Les publications, et notamment le FILE Megazine (1972-1989), jouent aussi un rôle important pour les multiples de General Idea. Leur dernière œuvre de ce genre sera l’ouvrage intitulé XXX Voto (for the Spirit of Miss General Idea) (XXX Voto [pour l’esprit de Miss General Idea]), poignant témoignage de la longue collaboration entre les trois artistes publié en mai 1995, soit après la mort de Jorge Zontal et de Felix Partz, en 1994. XXX Voto est inspiré d’un texte d’Yves Klein (1928-1962) qui remercie sa sainte patronne. General Idea adopte le concept et exprime sa gratitude à l’esprit de Miss General Idea. Le texte tout entier regorge de références aux trois artistes. On y lit entre autres ces mots : « merci trois fois à la puissance trois ». AA Bronson précisera que XXX Voto est une réflexion sur la vie commune des trois camarades.

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