Par ses projets conceptuels, General Idea aborde de grandes questions sociales comme la célébrité, les médias de communication, la consommation et la crise du sida. Ses prises de position sur l’identité sexuelle sont avant-gardistes et repoussent les limites du monde de l’art.
Une vision conceptuelle de la collaboration
General Idea adhère à une vision conceptuelle de la pratique artistique. Ses influences sont nombreuses, et l’aspect collaboratif de son travail, en particulier, est le fruit de plusieurs facteurs : le travail performatif des années 1960 issu de courants comme Fluxus, le happening et l’actionnisme viennois; le théâtre d’avant-garde, qui recourt alors abondamment aux techniques collectives; le cinéma de Mike Kuchar (né en 1942), George Kuchar (1942-2011) et Jack Smith (1932-1989), qui font participer leur cercle social à leurs films; et la Factory d’Andy Warhol (1928-1987) où ce dernier et ses amis produisent leur art.
« TROIS TÊTES VALENT MIEUX QU’UNE », proclame en 1978 un numéro de FILE Megazine, publication fondée par le groupe en 1972. La déclaration témoigne avec aplomb de la vision commune des membres du trio. L’article explique d’ailleurs leur modèle consensuel : « Nos trois paires d’yeux focalisent sur un même point de vue. D’autres façons de voir sont tolérées autour de la table de conférence, mais en public, la solidarité est essentielle. » Le message est clair : l’identité du groupe prime l’identité de ses membres. Le groupe adopte « un point de vue unique » et se considère comme une entité unique. Sa démarche égalitaire et coopérative est liée du reste aux valeurs communautaires des années 1960. En outre, le groupe se veut une critique de l’image traditionnelle que le public se fait de l’artiste. À ce sujet, General Idea explique : « Le fait d’être un trio nous a libérés de la tyrannie du génie individuel. »
Du reste, plus qu’une relation de travail, le partenariat qui unit les trois s’étend à toutes les sphères de la vie : « C’était une collaboration plutôt étrange », rappelle Bronson. « On vivait et on travaillait ensemble. C’était une sorte de relation domestique autant qu’artistique. » Le trio attribuera d’ailleurs à cette structure tripartite le succès et la stabilité qu’il connaîtra de 1969 à 1994. Et ses projets conceptuels ainsi que sa méthode collaborative constitueront un héritage fructueux, comme en témoigne la progression de la collaboration artistique qui ne se dément pas.
Altersexualité
Formé de trois hommes ouvertement gais, General Idea joue audacieusement avec les notions de sexe et de sexualité, à travers des performances et une imagerie qui bousculent la représentation de l’identité sexuelle. C’est l’époque de changements majeurs dans les droits des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des transgenres en Amérique du Nord. En 1968, juste avant qu’AA Bronson, Felix Partz et Jorge Zontal fassent connaissance à Toronto, Pierre Trudeau, alors ministre de la Justice, dépose un projet de loi omnibus visant à réformer le droit canadien en ce qui concerne l’homosexualité, l’avortement et la contraception. La loi, qui entrera en vigueur en 1969, aura entre autres effets de décriminaliser l’homosexualité. Cette même année, la ville de New York est secouée par les émeutes du Stonewall, une série de violentes protestations contre un raid de la police dans un bar gai de Greenwich Village.
À Toronto, en 1971, peu après les débuts de General Idea, paraît le premier numéro de The Body Politic. Décrite comme le « journal gai de référence au Canada », cette publication phare est très controversée. L’époque est fertile en mouvements d’organisation communautaire et de résistance civile, auxquels appartiennent notamment les pique-niques de la pointe de Hanlan (sur les îles de Toronto) et les marches pour les droits civils. Pourtant, malgré ces déclarations ponctuelles, il y a loin de la coupe aux lèvres et les communautés LGBT restent largement en proie à la violence, à la surveillance et à la répression. En 1978, The Body Politic est accusé d’obscénité, ce qui déclenche une grande manifestation à laquelle General Idea participe, en janvier 1979, au moyen d’une performance intitulée Anatomy of Censorship (Une anatomie de la censure), 1979.
La lutte pour l’égalité des droits des LGBT se poursuit dans les années 1980. Au Canada, l’opération Savon est un moment charnière à cet égard. Le 5 février 1981, la police torontoise coordonne un raid à grande échelle dans quatre établissements de bains publics de la ville. Résultat : plus de 300 hommes sont arrêtés, dont Zontal. L’action soulève un tollé, galvanise les foules dans tout le pays et recadre la lutte pour l’égalité dans le mouvement plus vaste de la défense des droits de la personne.
L’art de General Idea doit être interprété dans le contexte de ce changement de valeurs. Certes, la pratique du groupe aborde ouvertement l’altersexualité, mais les critiques esquiveront le sujet jusqu’au milieu des années 1980. Dans le monde artistique de l’époque, la sexualité reste taboue. Les artistes ne sont pas vraiment censurés, mais cette facette de leurs projets est tout simplement passée sous silence. Bronson explique : « La sexualité était un sujet, disons dangereux, dans le monde des arts. On ne parlait jamais de sexe. Te présenter comme artiste gai, c’était sonner le glas de ta carrière. »
General Idea, en revanche, ne lésine pas sur les références impudentes et ludiques à l’homosexualité. Il suffit de voir des œuvres comme Baby Makes 3 (Avec bébé, ça fait trois), 1984/1989. Dans cet autoportrait photographique, Bronson, Zontal et Partz figurent ensemble au lit, bien bordés jusqu’au menton. Le rose des pommettes et la douce rondeur des visages suggèrent l’innocence et l’infantilisation. Au delà d’une évocation de la famille nucléaire, il faut y voir un gommage des modèles traditionnels. La référence à la famille traduit également la nature de la collaboration au sein du groupe, dont la vie domestique et la production artistique sont si étroitement liées.
Bronson se rappelle la volonté du groupe de voir les critiques discuter des œuvres sur le plan de la sexualité. Cette volonté est si ardente que le trio n’hésitera pas à appâter ces derniers « en se faisant sans cesse plus outrancier ». La série Mondo Cane Kama Sutra, 1984, par exemple, montre des trios de caniches au néon en pleins ébats sexuels. Le caniche est un symbole majeur dans l’œuvre de General Idea, qui veut en faire l’archétype de l’homosexualité dans la culture nord-américaine majoritaire. Aux dires de Bronson : « Le caniche incarne l’artiste gai. » En dépit de l’imagerie indubitablement sexuelle de la série, les critiques font mine de n’y voir qu’une représentation du mode collaboratif du trio. Il faudra attendre 1986 pour qu’ils parlent de General Idea en termes d’identité sexuelle. Selon Bronson, il s’agit d’un changement d’attitude : « Jusque-là, c’était considéré comme embarrassant ou quelque chose du genre. »
Quand la collaboration prendra fin, avec la mort de Partz et de Zontal en 1994, certains spécialistes de l’époque, dont Virginia Solomon, chercheront à approfondir la dimension sexuelle de l’œuvre du groupe.
Le message, c’est le médium
General Idea analyse et critique les médias et la culture populaire en s’appropriant les structures existantes, comme les concours de beauté, les magazines et les émissions de télévision et en usant de la parodie, de l’ironie et de l’humour à des fins subversives. Il faut y voir l’influence du Canadien Marshall McLuhan (1911-1980), théoricien de la communication devenu célèbre dans les années 1960 avec ses idées sur la culture populaire, la technologie de la communication et la théorie des médias.
Dans ses textes fondateurs, McLuhan explique comment la technologie de la communication façonne les messages qu’elle contribue à diffuser et influe sur l’organisation sociale. Dans l’essai intitulé Understanding Media (Pour comprendre les médias), 1964, il insiste sur la télévision, et c’est de ce texte que vient l’aphorisme « le message, c’est le médium », devenu depuis largement populaire.
McLuhan influence énormément les membres de General Idea, fidèles lecteurs de ses nombreux ouvrages dans les années 1960. Cette influence ne se limite d’ailleurs pas à la réflexion sur les formes télévisuelles : l’idée que les effets sociaux des médias appellent une analyse critique est précisément à l’origine de l’appropriation du concours de beauté. Cette structure élaborée pour la télévision dicte quasiment la forme des œuvres des années 1970 et, en particulier, l’œuvre performative satirique intitulée The 1971 Miss General Idea Beauty Pageant (Le concours Miss General Idea), 1971, qui empruntera également la forme du mail art. Le projet permet au trio de décortiquer le culte et les stéréotypes de genre qui sont associés à la célébrité et qui deviendront des thèmes récurrents de son œuvre.
C’est aussi l’appropriation de la culture visuelle qui fonde les productions vidéo comme Test Tube (Tube à essai), 1979, qui réunit les structures du magazine d’information, du publireportage et de l’émission-débat. Fait à noter, l’œuvre est créée précisément en vue d’être diffusée à la télévision, comme s’il s’agissait d’un effort pour mieux infiltrer la culture populaire.
L’exploration et l’appropriation des médias populaires s’étendent à l’imprimé. En 1972, le trio crée le FILE Megazine, plagiant l’apparence et le logo de LIFE, populaire magazine américain. « Nous voulions quelque chose que tout le monde ramasse au kiosque à journaux en voyant une forme familière… avant de découvrir que ça n’avait vraiment rien de familier », explique Bronson.
Les œuvres de General Idea qui mettent en relief les artifices médiatiques portent la marque des théories de McLuhan sur les médias et la communication. Bronson commente : « Nous étions des magnats des médias dans un univers de notre invention. » L’appropriation des formes habituelles des médias et de la culture populaire est le moyen que privilégie le trio pour critiquer et moquer la société contemporaine et ses structures.
Naissance de la scène artistique canadienne
Vers la fin du vingtième siècle, General Idea participe directement à la création d’une culture artistique canadienne, gérée par les artistes eux-mêmes. Sa contribution emprunte de multiples voies et de multiples formes : le trio prend une part essentielle à la formation du réseau de centres d’artistes autogérés et à l’élaboration de politiques. Il canalise ses efforts vers deux plateformes : le FILE Megazine et Art Metropole, un centre d’artistes autogéré. Les deux initiatives sont aussi des éléments de l’œuvre de General Idea, mais elles servent amplement les projets d’autres artistes.
FILE est une publication célèbre fondée par General Idea en 1972. Trente-six numéros seront publiés avant la fermeture, en 1989. Le but, disent ses créateurs, est de procurer « un substitut aux médias de substitution », de jeter des ponts vers des artistes aux inclinations similaires et de promouvoir les intérêts communs. « L’objectif original était de former une sorte de réseau pancanadien, explique AA Bronson. Il n’y avait pas de débouchés pour le genre d’artistes qui nous intéressaient, et on savait qu’il y avait forcément beaucoup de gens dont on ne soupçonnait même pas l’existence. »
Dans ses premières années, FILE favorise la création d’une scène artistique canadienne en contribuant à la diffusion des projets et en publiant des répertoires d’artistes pour mettre les artistes du Canada et du monde en relation. Au milieu des années 1970, la publication privilégie les projets et les champs d’intérêt de General Idea, sans cesser pour autant d’établir des liens entre les communautés artistiques d’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon. Andy Warhol (1928-1987) et Joseph Beuys (1921-1986) comptent parmi les premiers abonnés.
Art Metropole est un centre d’artistes autogéré, également fondé par General Idea, et toujours en fonction, à Toronto. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, de nombreux centres de ce genre émergent au Canada, formant une structure parallèle au système des musées. Fondés et gérés par des artistes, plusieurs de ces organismes sans but lucratif sont financés par le Conseil des arts du Canada. Ils offrent un espace différent des salles d’exposition. Comme l’écrit Bronson dans son essai « Humiliation of the Bureaucrat » (l’humiliation du bureaucrate), les musées ne représentent pas adéquatement les artistes canadiens. Les galeries commerciales sont rares et isolées les unes des autres, et il n’existe pas de salon artistique ni aucun autre réseau commercial établi. Les centres autogérés donnent donc aux artistes les moyens d’être autonomes et constituent une ressource essentielle pour les projets expérimentaux comme la vidéo, la performance et l’art conceptuel, mais également pour des formes plus traditionnelles. General Idea est très actif sur cette scène naissante de l’autodétermination, qui comprend également Intermedia, à Vancouver. À Toronto, le groupe expose les photos reçues dans le cadre de The 1971 Miss General Idea Beauty Pageant (Le concours de beauté Miss General Idea 1971), 1971, dans un autre centre d’artistes autogéré, la galerie A Space, fondée en 1971.
General Idea crée Art Metropole en 1974, un « organisme de renseignement se consacrant à la documentation, à l’archivage et à la distribution de toutes les images ». C’est une vaste mission, qui fait justement la force du centre. Art Metropole distribue les livres, les œuvres vidéo et audio, les affiches, les multiples, les t-shirts créés par les artistes et plus encore, en plus de diffuser des écrits sur les nouveaux médias et diverses formes artistiques au moyen, entre autres, d’une série de publications rédigées par des artistes spécialistes de chacun des domaines traités. La série comprend Video by Artists (1976) (la vidéo vue par les artistes), Performance by Artists (1979) (la performance vue par les artistes), Books by Artists (1981) (les livres vus par les artistes), Museums by Artists (1983) (les musées vus par les artistes) et Sound by Artists (1990) (le son vu par les artistes).
General Idea crée Art Metropole en partie pour loger la quantité de mail art et d’objets obtenus par l’entremise de FILE. En réalité, c’est en soi une œuvre d’art et, plus précisément, le centre d’archives et la boutique du musée de The 1984 Miss General Idea Pavillion (Pavillion Miss General Idea 1984). Felix Partz souligne l’importance de l’organisation pour le groupe : « Sa structure actuelle et sa fonction sont parties intégrantes de notre travail, de notre projet global. »
Avec FILE et Art Metropole, General Idea fait beaucoup pour connecter la scène artistique canadienne, élaborer le paysage artistique national et donner aux artistes du Canada et d’ailleurs les moyens de communiquer et de partager les fruits de leur travail. Soulignant le rôle joué à cet égard par les publications, les organisations et les centres artistiques autogérés dans les années 1970, Bronson écrit : « Travaillant ensemble et parfois autrement qu’ensemble, nous avons déployé beaucoup d’efforts pour structurer, ou plutôt extirper du sac de nœuds qui encombrait nos cerveaux après les années 1960 des galeries gérées par les artistes eux-mêmes, des vidéos d’artistes et des magazines dirigés par des artistes. C’était le moyen d’arriver à nous voir comme une scène artistique. Et nous y sommes arrivés. »
Commerce et consommation
Au cours de leurs 25 années de collaboration, les membres de General Idea envisagent la consommation et le commerce sous des angles divers. Ils utilisent d’abord la grande vitrine en façade de leur appartement du 78, rue Gerrard Ouest à Toronto, naguère un magasin, pour mettre en scène une série de faux commerces et détourner le modèle en y présentant une foule d’objets trouvés, dont des poupées et des bijoux bon marché. Les premiers étalages déjouent les attentes de ceux qui les regardent. Longtemps, la porte de la maison reste verrouillée, et un panneau prévient en permanence les acheteurs potentiels que le commerçant sera de retour dans cinq minutes. La première de ces fausses boutiques est The Belly Store (Le magasin du ventre), 1969, conçu en collaboration avec John Neon (né en 1944). Derrière le comptoir, Zontal vend le George Saia’s Belly Food (Aliments pour le ventre George Saia), 1969, des multiples disposés en pyramides comme des conserves.
Suivront, toujours sur le thème de la relation entre le commerce et le monde artistique, des projets comme Test Tube (Tube à essai), 1979, une vidéo qui dénonce la réification et le rôle de l’artiste dans ce genre de système. Comme d’autres réalisations de General Idea, Tube à essaimène à des œuvres protéiformes. Dans ce cas précis, explique AA Bronson, « le tournage est devenu le mécanisme de création de tous les accessoires nécessaires à la vidéo, puis à leur production en multiples ».
Dans la même veine, le trio crée des boutiques, conçues exactement comme des comptoirs de vente au détail dans les galeries et les musées, fruits de son observation du monde de l’art. « Nous assistions au début des mégaproductions et l’entrée des musées dans le monde de l’argent et de la commercialisation », rapporte Bronson. The Boutique from the 1984 Miss General Idea Pavillion (La boutique du pavillon de Miss General Idea 1984), 1980, par exemple, est un comptoir en métal galvanisé dont la forme est celle d’un signe de dollar tridimensionnel. On y vend une gamme de multiples créés par General Idea, notamment des objets utilisés dans Tube à essai, comme Magic Palette (Palette magique), 1980, une palette de peintre métallique servant de plateau à six gobelets d’aluminium, qui s’accompagne d’un livre broché intitulé The Getting into the Spirits Cocktail Book from the 1984 Miss General Idea Pavillion (Le livre des cocktails d’ambiance du Pavillon de Miss General Idea 1984).
¥en Boutique, 1991, est un autre face-à-face entre General Idea et la consommation. Sa création coïncide avec la montée en puissance du Japon sur la scène économique. C’est une nouvelle variation sur le modèle du magasin. Le stand (où l’on peut parfois acheter des multiples) est créé en vue d’une exposition dans un musée. L’idée suscitera l’intérêt du groupe pendant toute la décennie. La dernière manifestation sera la Boutique Cœurs volants, 1994-2001.
Activisme
General Idea alimente abondamment le discours sur le VIH-sida au tournant des années 1990. Le virage se produit en 1987, avec la création d’une peinture destinée à une campagne de financement pour l’American Foundation for AIDS Research (amfAR). Avec AIDS (SIDA), 1987, les artistes reprennent l’idée de LOVE, 1966, une peinture de l’Américain Robert Indiana (né en 1928), en remplaçant le mot love par sida, le nom de cette maladie que l’on découvre à peine. Cette appropriation ironique est « de mauvais goût, ça ne fait aucun doute », dira plus tard AA Bronson. À la même époque, d’autres artistes font de la maladie un traitement didactique, nettement différent des visées plus ambiguës de General Idea avec AIDS.
Malgré la réaction initiale, General Idea poursuit avec une série de projets, de l’affiche à la bague en passant par le timbre encreur, tous centrés sur le logo détourné, afin de dénoncer la stigmatisation et la désinformation qui entourent la maladie. Bronson déclare : « Tout ça nous attirait en partie parce que les enjeux étaient nombreux. En plus des problèmes de santé, particulièrement graves aux États-Unis, il y avait aussi la question du droit d’auteur et le consumérisme. » Le groupe continue d’ailleurs de recueillir des fonds pour les organismes de lutte contre le sida avec des initiatives comme General Idea’s Putti (Les putti de General Idea), 1993, une installation à grande échelle créée à partir d’une savonnette du commerce en forme de bébé phoque, déposée sur un sous-verre. Dix mille savonnettes sont assemblées en galerie et mises à la disposition des spectateurs, qui sont invités à donner en échange dix dollars destinés à un organisme caritatif local de lutte contre le sida.
L’activisme de General Idea a une importance qu’on ne saurait sous-estimer. Le sida est alors un sujet tabou, qui génère la peur. John Miller, écrivain et artiste, décrit ainsi le climat de l’époque : « En 1987, en particulier, se déclarer séropositif pour le VIH, ce n’était pas comme se dire gai. Vous pouviez perdre votre emploi et vos amis. Certains voulaient vous mettre en quarantaine. Même les chroniques nécrologiques évitaient toute allusion à la maladie. »
À la fin de cette décennie, le travail de General Idea autour du sida acquiert un sens très personnel. L’un des proches amis du groupe (qui a participé à la production de Going thru the Motions (Répéter les mouvements), 1975-1976, et Test Tube (Tube à essai), 1979) meurt des suites du sida à New York en 1987. Les trois artistes seront les plus assidus à lui prodiguer des soins pendant les dernières semaines de sa vie. Partz et Zontal apprennent à leur tour, en 1989 et en 1990 qu’ils sont eux aussi séropositifs. Les deux annoncent publiquement leur état et, jusqu’à leur mort, en 1994, General Idea continue de créer des œuvres d’art sur ce sujet, qui émeuvent et interpellent.