Portrait de ma grand-mère 2004

De nombreux dessins d’Annie Pootoogook font référence à sa grand-mère, Pitseolak Ashoona (v.1904-1983), qu’elle admire beaucoup. Pitseolak est toujours identifiée par ses lunettes à monture noire — parfois même, seules ses lunettes la représentent. Ce dessin, réalisé principalement au graphite et au stylo, est mis en valeur par la couleur du crayon que tient Pitseolak. Souvent présenté à tort comme un autoportrait d’Annie, le dessin montre Pitseolak regardant le spectateur droit dans les yeux.

Selon William (Bill) Ritchie, l’image provient sans doute d’une photographie de Tessa Macintosh, qui photographie les artistes dans les studios de la West Baffin Eskimo Co-operative, à Kinngait, dans les années 1970. Le dessin d’Annie n’est pas une copie exacte de la photographie, mais il y a trop de similitudes entre les deux compositions pour les ignorer. La posture de Pitseolak est la même, tout comme ses lunettes caractéristiques et son parka porté sur un seul bras. De nombreux artistes se couvrent ainsi de leur parka, lors des séances dans l’atelier, pour demeurer confortables tout en libérant le bras maniant le crayon. Si Annie fait ce dessin à partir de la photographie de Macintosh, c’est, à notre connaissance, la seule occasion où elle travaille à partir d’une référence photographique. Annie préfére dessiner de mémoire ou à partir de scènes qu’elle a sous les yeux. Cependant, les artistes de Kinngait utilisent de plus en plus la photo comme source d’inspiration. Le cousin d’Annie, l’artiste Itee Pootoogook (1951-2014), est reconnu pour avoir eu recours à des photographies dans sa pratique. 

Pitseolak n’est pas seulement la grand-mère d’Annie, c’est aussi une artiste professionnelle qui rencontre beaucoup de succès et dont l’œuvre est présentée dans d’importants musées et publications du Sud. Grâce à son art, elle atteint une certaine liberté financière et une certaine stabilité pour sa famille. Elle est un modèle important pour la jeune Annie, qui se rappelle Pitseolak dans une entrevue de 2006 :

J’allais voir ma grand-mère dessiner parce que je voulais apprendre et c’était ma grand-mère. Personne ne la regardait. Je ne sais pas pourquoi. Je voulais apprendre, alors je devais la regarder […] elle me parlait et disait […] « Je dessine parce que mes petits-enfants doivent manger. » Mais elle a aussi dessiné une véritable histoire, sur sa vie […] elle me disait : « Tu devrais essayer quand tu seras grande, si tu peux ».

Dans une œuvre ultérieure, Pitseolak Drawing with Two Girls on Her Bed (Pitseolak dessinant avec deux filles sur son lit), 2006, Annie offre un autre exemple de la force du lien qui unit les générations de femmes du Nord en même temps qu’elle illustre la pratique de l’apprentissage par l’observation, un modèle toujours en vigueur de nos jours.