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Gabriel 1976

Gabriel

Agnes Martin, Gabriel, 1976

Film 16 mm, couleur, 78 minutes,
silencieux avec des extraits des Variations Goldberg de Bach 

Photographie de plateau du film original prise par Bill Jacobson

Pace Gallery, New York

© Agnes Martin / SOCAN (2019)
 

En 1975, bien qu’elle ne possède ni formation ni expérience en cinéma, Martin s’achète une caméra à l’aide des recettes de sa première exposition à la Pace Gallery et commence à filmer en plein air. Cette expérience a abouti à la conception du seul film achevé de Martin, Gabriel. Tandis que son titre constitue peut-être un hommage à l’Annonciation, le film porte sur le vaste paysage qui entoure l’artiste sur la mesa isolée du nord-est du Nouveau-Mexique, son lieu de vie pendant près de dix ans, ainsi que sur les paysages de la Californie et du Colorado.

 

Agnes Martin, Gabriel, 1976, film 16 mm, couleur, 78 minutes, silencieux avec des extraits des Variations Goldberg de Bach, photographie de plateau prise par Bill Jacobson, Pace Gallery, New York.

Gabriel s’ouvre sur l’image d’un jeune garçon, le personnage éponyme, debout face à l’immensité de l’océan Pacifique, les vagues se brisant à ses pieds. La prise de vue le montre de dos, cheveux châtains, habillé d’un polo blanc et d’un short. Le spectateur ne voit pas son expression. À l’origine du projet, Martin voulait faire le film avec sa nièce Erin, la fille de deux ans de sa sœur Christa. Elles ont voyagé de Vancouver jusqu’au Nouveau-Mexique et ont passé du temps dans le studio en pierre d’adobe de Martin sans que le film ne se concrétise. Gabriel a finalement été joué par un jeune Néo-Mexicain dénommé Peter Mayne, tandis qu’il longe la rivière et se promène dans la montagne. Une longue séquence vers le milieu du film enchaîne des gros plans prolongés sur des fleurs, des cours d’eau et des arbres. Le film est silencieux, hormis plusieurs extraits du célèbre enregistrement des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach fait par Glenn Gould en 1955.

 

S’interrogeant sur les raisons qui ont incité Martin à utiliser l’enregistrement de son compatriote canadien, l’historien de l’art Matthew Jeffrey Abrams avance que Gould et Martin accordent une même importance à la forme, à la variation et à l’obsession dans leur travail. Dans cette optique, on peut également faire un parallèle entre Gabriel et le radio-documentaire expérimental de l’illustre pianiste, The Idea of North, 1967, qui forme le premier volet de sa Solitude Trilogy. L’œuvre présente des entrevues menées auprès de cinq personnes dont les voix s’enchaînent, se superposent et s’entremêlent à la manière d’un contrepoint, dispositif compositionnel que Gould emprunte à Bach. Bien que les cinq personnes interviewées soient au cœur du documentaire, ce dernier a pour véritable objet, dans les mots de Barbara Frum, « la solitude et ce qu’elle signifie pour [Gould] ».

 

Martin, elle-même en quête de solitude sur les mesas du Nouveau-Mexique, braque les projecteurs sur l’enfant qu’est Gabriel, mais explore en réalité le bonheur, l’innocence et la beauté — ces émotions abstraites dont on peut faire l’expérience, selon elle, à travers la contemplation du monde naturel. « Le propos de mon travail est l’émotion », dit Martin dans une déclaration qui pourrait s’appliquer aussi bien à Gabriel qu’à ses tableaux. « Pas l’émotion personnelle, l’émotion abstraite. Ces moments subtils de bonheur dont nous faisons tous l’expérience. » Il faut donc appréhender Gabriel dans le contexte de la peinture abstraite de Martin. Si ces deux formes artistiques sont tout à fait différentes, elles ont en commun d’incarner les émotions irreprésentables vécues par Martin au contact de la nature.

 

En 1977, Martin s’essaie à la production d’un second film, Captivity (Captivité), pour lequel elle écrit un scénario et des dialogues et recrute des acteurs de Kabuki à San Francisco. Le film a été tourné au Nouveau-Mexique et sur l’île de Vancouver, mais est resté inachevé. La même année, la première de Gabriel a été tenue au Los Angeles County Museum of Art et au Institute of Contemporary Art de l’Université de la Pennsylvanie.

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