Mémorial national du Canada à Vimy 1921-1936
L’impressionnant et majestueux Mémorial de Vimy se dresse au sommet de la crête de Vimy, s’élevant au-dessus de la plaine de Douai dans le nord de la France, ses spectaculaires pylônes de calcaire bien visibles de loin. En ce lieu, plus de 10 000 soldats canadiens ont été tués ou blessés au cours de l’une des batailles les plus décisives de la Première Guerre mondiale. L’affrontement brutal de quatre jours a débuté le lundi de Pâques 9 avril 1917. Il marque la toute première fois que les quatre divisions du Corps canadien luttent ensemble, et représente donc un moment crucial de l’histoire nationale. En conquérant la crête, le Canada gagne l’immense respect des Alliés pour son habileté au combat et sa bravoure, et renforce son sentiment de fierté nationale. Allward consacrera quinze ans de sa vie au Mémorial de Vimy, un chef-d’œuvre sculptural récemment décrit par Christopher Hume comme « sans précédent quant à sa portée et son ambition ». Achevé en 1936, le Mémorial de Vimy constitue à la fois un vibrant hommage aux 61 000 Canadiens ayant perdu la vie pendant la Première Guerre mondiale et le point culminant de l’œuvre sculpturale d’Allward.
L’artiste révèlera plus tard que l’idée derrière sa conception du monument lui vient d’un rêve, ce qui témoigne de sa profonde implication dans le projet :
La situation en France étant à son plus sombre, une nuit, je me suis endormi après avoir ressassé tout le gâchis et la misère […]; mon esprit était tourmenté. […] Je rêvais que j’étais dans un grand champ de bataille. Je voyais nos hommes arriver par milliers et se faire faucher par les faucilles de la mort, régiment après régiment, division après division. Ma souffrance à cette vue était insupportable, j’ai détourné les yeux et me suis retrouvé devant une allée de peupliers. Soudain, dans cette allée, j’ai vu des milliers de gens accourant, venant en aide à nos armées. C’étaient les morts. Ils se sont levés en masse, ont défilé en silence et sont entrés dans le combat, pour aider les vivants. Cette impression était si vive que malgré mon réveil, elle m’a accompagné pendant des mois. Sans les morts, nous étions impuissants. J’ai donc essayé de montrer cela dans ce monument aux Canadiens tombés au combat, ce que nous leur devons, et que nous leur devrons à jamais.
À partir de 1921, Allward dessine environ 150 croquis pour finalement en arriver à la conception finale, qu’il décrit comme « une admonition de pierre contre la futilité de la guerre ». Le monument, mélange d’éléments classiques et modernistes, est élevé sur un site qui fait partie de la parcelle de terrain de 1,17 kilomètre carré offerte à perpétuité au Canada par le gouvernement français en guise de parc commémoratif. L’œuvre se caractérise par sa base horizontale de 72 mètres de long sur 11 mètres de haut, surmontée de deux pylônes incarnant le Canada et la France et s’élevant à 30 mètres au-dessus de la plateforme. Vingt figures allégoriques s’y déploient, dont deux groupes – de trois et de quatre figures – situés à chaque extrémité d’un « mur de défense imprenable » et représentant The Breaking of the Sword (La rupture de l’épée) et The Sympathy of the Canadians for the Helpless (La compassion des Canadiens pour les faibles). Au-dessus de chaque groupe, on devine la bouche d’un canon couvert de lauriers et de branches d’olivier, symboles de paix. Au sommet du mur du devant se trouve « la figure héroïque du Canada ruminant son chagrin sur les tombes de ses vaillants morts », faisant ainsi écho aux images traditionnelles de la Vierge Marie en deuil.
Derrière cette sculpture, au pied des pylônes jumeaux, un soldat se meurt : cette figure appelée The Spirit of Sacrifice (L’esprit du sacrifice) emprunte une pose évoquant celle du Christ sur la croix. À ses côtés se dresse la statue The Passing of the Torch (Le porteur du flambeau), une allusion à l’un des plus célèbres poèmes de la Première Guerre mondiale, « Au champ d’honneur » (1915), écrit par le lieutenant-colonel John McCrae, officier du Corps médical de l’armée canadienne. Ensemble, les deux figures expriment le sacrifice et la renaissance spirituelle. Près du haut des pylônes, huit figures incarnent la Foi, l’Espoir, l’Honneur, la Charité, la Connaissance, la Justice, la Vérité et, tout en haut, la Paix. Deux gisants en deuil, inspirés des statues de Michel-Ange (1475-1564) pour le tombeau des Médicis à Florence et positionnés de chaque côté de l’escalier au dos du monument, rappellent les parents endeuillés des soldats morts. À l’instar des précédents monuments de guerre d’Allward, nulle part n’est évoqué le triomphe des troupes canadiennes à Vimy, les vingt figures allégoriques traduisant plutôt la perte, le chagrin et la rédemption.
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Walter S. Allward, Mémorial national du Canada à Vimy [détail, The Sympathy of the Canadians for the Helpless (La compassion des Canadiens pour les faibles)], 1921-1936
Calcaire Seget et béton
Parc Mémorial Canadien, Chemin des Canadiens, Vimy, France
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Walter S. Allward, Mémorial national du Canada à Vimy [détail, The Breaking of the Sword (La rupture de l’épée)], 1921-1936
Calcaire Seget et béton
Parc Mémorial Canadien, Chemin des Canadiens, Vimy, France
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Walter S. Allward, Mémorial national du Canada à Vimy [détail, Canada Bereft (Le Canada en deuil)], 1921-1936
Calcaire Seget et béton
Parc Mémorial Canadien, Chemin des Canadiens, Vimy, France
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Walter S. Allward, Mémorial national du Canada à Vimy [détail, le chœur], 1921-1936
Calcaire Seget et béton
Parc Mémorial Canadien, Chemin des Canadiens, Vimy, France
En amont des travaux du Mémorial de Vimy, Allward passe deux ans à préparer des plans détaillés et à rechercher la pierre idéale, c’est-à-dire celle dotée de la texture et de la couleur adéquates. De plus, le nettoyage du site parsemé de débris nécessite du temps additionnel et retarde la pose de la fondation en béton. La pierre angulaire est finalement installée en septembre 1927. En 1930, Luigi Rigamonti (1872-1953), un sculpteur italien qu’Allward a rencontré peu après son arrivée en Angleterre en 1922, commence à sculpter les figures à partir des maquettes en plâtre réalisées par Allward dans son atelier londonien, puis expédiées sur le site de Vimy. Canada Bereft (Le Canada en deuil) sera la première sculpture achevée, aujourd’hui parmi les plus emblématiques de l’art canadien. En quête d’un modèle vivant, Allward fait paraître une annonce dans le journal The Stage et choisit finalement une ancienne danseuse professionnelle nommée Edna Moynihan. Au cours de son entretien avec elle, Allward mesure ses épaules, expliquant qu’il veut créer « une figure maternelle avec des épaules assez larges pour porter le chagrin de ses fils morts ».
Alors que Rigamonti supervise la sculpture des figures, Allward engage le célèbre artiste graphique et concepteur britannique Percy John Delf Smith (1882-1948) pour graver sur les murs inférieurs du monument les noms de 11 285 soldats canadiens tués en France pendant la Première Guerre mondiale et dont les corps n’ont jamais été retrouvés. De même, sur le mur frontal du monument, Smith inscrit en français et en anglais les mots suivants : « To the valour of their countrymen in the Great War and in memory of their sixty thousand dead this monument is raised by the people of Canada / À la vaillance de ses fils pendant la Grande Guerre, et en mémoire de ses soixante mille morts, le peuple canadien a élevé ce monument. »
Tout au long du projet de Vimy, matérialisation d’une vision très personnelle de l’artiste, Allward fait preuve d’une grande persévérance, poursuivant obstinément sa quête de la perfection. Le colonel H. C. Osborne de la Commission impériale des sépultures militaires déclarera lors d’une cérémonie en l’honneur d’Allward : « Il pensait toujours en termes de siècles à venir. La grandeur de la conception, la construction sans faille, les proportions parfaites, les lignes gracieuses et la sculpture splendide se combinent en une création que les nations admireront et qui remplira de fierté les Canadiens des générations à venir. »
Le monument, situé aujourd’hui sur le lieu historique national du Canada Crête de Vimy et entretenu par Anciens Combattants Canada, fait l’objet d’une importante restauration en 2005. Avec près d’un million de visiteurs par an, il s’agit de l’une des œuvres d’art public les mieux connues du Canada.