Clycieun 1991

Tim Whiten, Clycieun, 1991
Bois, roue de vélo et siège, 251,5 x 53,3 x 22,9 cm
MacKenzie Art Gallery, Regina
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, Whiten commence à produire des œuvres en techniques mixtes qui font référence à des objets du quotidien, usant de formes courantes dans leur composition respective. Nombre de ces œuvres évoquent la notion de voyage, tant physique que spirituel, en incarnant différents modes de déplacement. La roue, en particulier, est un motif courant et apparaît dans Ram (Bélier), 1987, Canticle for Adrienne (Cantique pour Adrienne), 1989, Hearken to the Service of Emmanuel (Écoutez le service d’Emmanuel), 1990, et Clycieun.
Clycieun est une sculpture humoristique de Whiten. Ressemblant à un unicycle, elle est composée d’une fourche en bois simplifiée, d’une roue unique et d’un siège de vélo. Associé aux artistes de rue, aux cirques et aux festivals, l’unicycle exige beaucoup d’adresse, de force et d’équilibre. La hauteur exagérée du vélo de Whiten le rend cependant périlleux à enfourcher, tandis que l’absence de pédales empêche de le propulser. Le titre, Clycieun, est une anagramme du mot « unicycle », un clin d’œil à la réorganisation par l’artiste de ses éléments classiques.


L’artiste français Marcel Duchamp (1887-1968) a exercé une influence déterminante sur Whiten. L’usage qu’il fait d’objets familiers est comparée aux ready-mades de Duchamp et, plus particulièrement dans le cas de Clycieun, à sa sculpture emblématique, Roue de bicyclette, 1913-1917. La première version de cette œuvre, qui date de 1913, consiste en une fourche de bicyclette dont la roue avant est montée à l’envers sur un tabouret en bois; le pneu est rempli d’air, mais il n’y a pas de pédales apparentes.
En revanche, Clycieun est debout. La selle invite les cyclistes à monter, mais la hauteur précaire de l’unicycle rend cette proposition impraticable. Sa roue unique signale la mobilité, mais l’absence de pédales contrecarre le contrôle que l’on doit exercer sur ses déplacements. Nos pieds ne peuvent pas nous propulser; le mouvement que décrit cette œuvre n’est pas en adéquation avec notre façon de nous mouvoir habituellement sur la Terre. Comme le fait observer S. Brent Plate dans Tim Whiten: Tools of Conveyance (2022), Duchamp modifie la finalité d’un objet en le remettant en scène dans un nouveau contexte, tandis que Whiten change la nature de l’objet pour impliquer le public dans une expérience transformationnelle.
La fourche du vélo de Clycieun est construite à partir d’un jeune arbre grand et mince. L’arbre est un motif récurrent dans l’œuvre de Whiten, dont le prénom Grover signifie « celui qui prend soin des arbres ». Parmi les autres œuvres intégrant des arbres ou des branches, on peut citer Écoutez le service d’Emmanuel, 1990, Elysium (Élysée), 2008, et Hallelujah [II] (Alléluia [II]), 2015. Dans Clycieun, le jeune arbre représente l’arbre de vie ainsi que l’axis mundi, ou le centre mythique du monde, c’est-à-dire le portail entre le ciel et la terre, et entre les domaines supérieurs et inférieurs de l’existence. L’extrême verticalité de Clycieun souligne nos aspirations à atteindre un degré de compréhension ou un état d’esprit supérieur. Pourtant, notre ascension souhaitée dépasse notre capacité physique; la folie de notre ambition est mise en lumière avec humour.