Mère heureuse 2013
Happy Mother (Mère heureuse) représente une femme blonde aux yeux bleus en train d’accoucher. On voit d’ailleurs émerger la tête de son bébé encerclée de globes terrestres, comme une couronne. Elle est enlacée par un oiseau préhistorique qui semble la soutenir pendant le travail. Shuvinai Ashoona explique : « J’ai trouvé que les cheveux formaient un cercle, le même que le cercle de la Terre quand on la regarde d’en haut. » Ce commentaire de l’artiste nous porte à croire que la parturiente fait partie d’un monde clandestin ou d’un autre univers. Shuvinai n’a jamais mentionné avoir assisté à un accouchement et elle ne laisse pas entendre non plus que cette œuvre (ni aucune autre sur le même thème, comme Birthing Scene [Scène d’accouchement], 2013) est une interprétation de ce qu’elle a vécu elle-même. On pourrait donc croire que ces dessins représentent une expérience désincarnée qui, à son tour, porte un sens plus vaste ancré dans le mysticisme ou le surnaturel.
Comme l’indique le titre de l’œuvre, la femme semble ravie en dépit des douleurs physiques de l’enfantement. Elle paraît humaine de prime abord, mais en l’observant de près, on remarque des attributs monstrueux : une gigantesque pince en guise de main qui prolonge son poignet et sa jambe droite, foncée et velue comme une patte de caribou. On retrouve ce genre de personnage hybride dans d’autres œuvres, notamment Composition (People, Animals, and the World Holding Hands) (Composition (Personnes, animaux et Terre se tenant par la main)), 2007, où Shuvinai ajoute à des figures humaines des appendices d’animaux de manière tout à fait créative et naturelle, comme une oreille de cygne ou une pince de homard. Dans Mère heureuse, la sage-femme est un oiseau énorme à la tête colorée et au bec bleu ressemblant à celui d’un toucan. Les ailes orangées et bleu ciel de l’oiseau enveloppent douillettement la femme de l’arrière et tiennent délicatement ses seins pendant que ses pattes semblent s’agripper au sol pour garder son équilibre. La végétation luxuriante à l’arrière-plan contraste avec le sol rocailleux et la planche de contreplaqué sur laquelle la mère et l’oiseau sont accroupis.
Traditionnellement, les Inuites accouchent en présence d’une sage-femme, sauf quand on s’attend à l’intervention de puissances surnaturelles. Dans ce cas, un chaman assiste lui aussi à la naissance. Peut-être l’oiseau joue-t-il ici le rôle de chaman? Le bébé en train de naître est délicatement guidé par la main de la mère et sur sa tête, six petits globes terrestres (un motif que Shuvinai répète dans bon nombre de ses œuvres de la même époque) dansent une ronde. Nous sommes témoins d’une naissance mystique : l’enfant semble destiné à vivre sur Terre, mais comme pour de nombreuses œuvres de Shuvinai Ashoona, ce n’est qu’une hypothèse.