La femme du chaman 1980
Dans cette image saisissante, Pitseolak trouve un équilibre entre le monde des choses et celui des esprits. La figure de la femme du chaman se tourne audacieusement vers le spectateur, projetant une puissante aura de mystère; pourtant, le dessin renferme une foule de détails sur les vêtements et les tatouages traditionnels qu’elle arbore au visage.
En 1980, les graveurs de Cape Dorset maîtrisent déjà les techniques de la gravure sur pierre, pouvant ainsi saisir toute l’énergie des traits de crayon de Pitseolak. Le contour linéaire de l’estampe, dont le rendu n’est pas tâche facile, est fidèle au dessin d’origine. Même la texture des vêtements en peau de phoque et les motifs des tatouages faciaux semblent vivants, reflétant la manière dont Pitseolak aime traduire le mouvement dans son art.
La femme est assise en position de méditation, avec les bras glissés dans ses manches et les jambes croisées. La bouche légèrement tordue et ses yeux tournés vers le haut pourraient suggérer qu’elle est en transe. Sur sa tête se trouve un oiseau — un élément récurrent dans l’œuvre de Pitseolak —, lequel représente sans doute ici l’auxiliaire spirituel du chaman. Selon une croyance traditionnelle, lorsqu’un chaman est en transe, il possède le pouvoir de voir par les yeux de son auxiliaire spirituel et donc d’aider les chasseurs à trouver du gibier.
Les pratiques chamaniques ne sont que rarement évoquées dans les œuvres de Pitseolak. On les retrouve dans ses premiers dessins, sous forme de créatures fantasques aux apparences de démons. Dans les années 1920, Pitseolak se convertit au christianisme. Dans Pictures Out of My Life (1971), elle admet savoir très peu au sujet des chamans, quoiqu’elle se souvienne qu’un jour, son père Ottochie a failli être tué par un chaman, et que sa famille avait cru en leur existence.
Il n’existe aucune preuve que Pitseolak dépeint ici un rituel chamanique précis. Toutefois, il est intéressant d’émettre des spéculations sur la persistance de modes de pensée liés à un système de croyance qui, pour peu que nous le sachions, n’a plus cours. La fille de Pitseolak, Napachie Pootoogook (1938-2002), créera plus tard une série de dessins de chamans, parmi lesquels on retrouve Aliguq, une chamane possédant les même tatouages faciaux distinctifs que la figure dans La femme du chaman. Le mari d’Aliguq, Alariaq, qui est aussi connu pour ses pouvoirs spéciaux, a des liens de parenté avec Pitseolak. Durant son enfance, Pitseolak avait entendu ses parents et d’autres personnes lui raconter des histoires au sujet d’Aliguq, et le couple de chamans était bien connu dans la région de Cape Dorset. Plus tard, Pitseolak transmettra ces histoires à ses propres enfants.