Femme tatouée 1960
En 1960, Pitseolak pratique déjà le dessin avec assurance, comme en témoigne cette représentation d’une femme inuite au visage tatoué. Elle porte un amauti, un parka pour femmes muni d’un capuchon élargi dans lequel on peut porter un jeune enfant, blotti contre le dos de sa mère. Employant des traits fluides, l’artiste nous donne à voir les amples courbes de l’amauti, de même que certains détails, tels que la complexité des attaches à l’avant du manteau, de la coiffure tressée et des tatouages.
Les Inuits de différentes régions, voire au sein d’une même collectivité ou famille, possèdent leur propre style d’amauti. La forme générale du vêtement et les motifs linéaires, présentant le plus souvent une alternance de bandes sombres et claires, sont depuis longtemps une source d’orgueil pour les femmes inuites. Même les bandes décoratives les plus minces doivent être à l’épreuve du vent et de l’eau. Pitseolak est reconnue pour ses exceptionnels talents de couturière; c’est en confectionnant saison après saison les vêtements de peau d’animal à deux couches pour sa famille qu’elle acquiert une compréhension intime de la fonction et du design de l’amauti et qu’elle est ainsi en mesure de le représenter de façon concise par quelques traits de crayon.
L’amauti est profondément symbolique de la maternité, un rôle très estimé au sein de la culture inuite. En soulignant la rondeur du capuchon et des bras pliés, Pitseolak rend bien l’idée de la mère prodiguant des soins et répondant à tous les besoins des siens. Les tatouages au visage attestent de la maturité d’une femme, de ses réalisations et de sa place au sein de la société inuite. Pitseolak se souvient des tatouages de sa propre mère, Timungiak, décrivant comment ces traces avaient été réalisées au moyen de suie et de tendons de caribou. Selon Dorothy Harley Eber, dont les entrevues avec l’artiste sont à la base de Pictures Out of My Life, Pitseolak identifiera plus tard la femme dans ce dessin comme étant sa mère; Femme tatouée peut être perçu comme un hommage à sa mère, mais aussi à toutes les femmes inuites des générations antérieures.
Lukta Qiatsuk (1928-2004) réalise une gravure sur pierre à partir du dessin de Pitseolak, sans sacrifier la netteté noir et blanc de l’image. Dans le catalogue de 1963 de la collection annuelle d’estampes de Cape Dorset, l’œuvre porte le titre de Tatooed Woman (avec un seul « t »); plus tard, elle apparaîtra fréquemment dans les catalogues sous cette orthographe. Il s’agit d’une de ses premières estampes, réalisée à partir d’un dessin au trait de crayon à mine de plomb. Si on n’y décèle pas encore la vivacité caractéristique des œuvres ultérieures de Pitseolak, il demeure que l’on tient ici une de ses images les plus connues, qui a acquis une portée iconique dans le monde de l’art canadien.