Souvenirs de Leningrad : Mère et enfant 1955-1956
Paraskeva Clark revisite souvent le thème de la mère et de l’enfant tout au long de sa carrière. Ce tableau est le dernier de la série. Le prototype est une petite aquarelle peinte en 1924, l’année de son installation à Chatou avec ses beaux-parents après la mort de son premier mari, Oreste Allegri. En 1934, Clark reprend le dessin de l’aquarelle au crayon et à l’encre pour illustrer une histoire qui se déroule pendant la grande crise, à la demande du magazine Canadian Forum, où son amie Pegi Nicol (1904-1949) est directrice de l’illustration. Elle peint une seconde aquarelle en 1941, à une époque où elle est insatisfaite de son art et où elle doit absolument produire pour une exposition imminente au Brooklyn Museum.
Pour ce tableau comme pour la série Russian Bath (Le bain russe), Clark puise dans ses souvenirs de Leningrad. Ces thèmes récurrents sont les reflets de son état d’esprit au moment où elle peint chacun. La série du bain la montre heureuse et optimiste. Les dessins et les peintures de la série sur la mère et l’enfant traduisent au contraire la tristesse et l’abattement. Sur ce tableau, une jeune femme (Paraskeva) assise tient un enfant endormi (Ben) qu’elle vient d’allaiter. À la lumière d’une lampe au kérosène, elle lit un livre, la tête appuyée sur sa main gauche, un verre de thé posé à proximité, sur une table couverte de livres et de fournitures artistiques. Au premier plan, une chaise vide. Mère, épouse et ménagère, Clark a peu de temps pour peindre. Ce tableau du milieu des années 1950 traduit peut-être sa crainte d’être dépassée, d’autant qu’elle est désormais privée de l’appui de son mécène J. S. McLean et de l’ancien directeur de la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa, H. O. McCurry.
Le style de la série sur la mère et l’enfant reste constant pendant une trentaine d’années, même si l’auteure fait diverses expériences à cet égard au fil des ans. Le bleu domine. On y pressent une artiste foncièrement réaliste et profondément redevable à Pablo Picasso (1881-1973). Elle admire le peintre espagnol depuis Leningrad et connaît sans doute les tableaux sombres de la période bleue (1901-1903). Au printemps 1940, elle rédige une courte critique en français sur Picasso, louant son équilibre parfait entre le spirituel et le sensuel. Elle semble elle aussi déterminée à exprimer son monde intérieur par la couleur et la forme.