W110278: The Personal War Records of Private Lamb M. 1942-1945
Le journal de guerre de Molly Lamb est unique en son genre pour ses récits de la vie militaire, et plus particulièrement parce qu’ils sont livrés sous un angle féminin. Certains critiques y verront un autoportrait, bien que Lamb écrive son journal à la troisième personne et attribue les dessins la représentant à des photojournalistes. À la différence des journaux purement textuels de ses collègues artistes de guerre Charles Comfort (1900-1994) et George Campbell Tinning (1910-1996), W110278 joint l’image au mot et constitue un document illustré de ses expériences. Lamb tient son journal entre novembre 1942, année de son enrôlement dans le Service féminin de l’Armée canadienne (CWAC), et juin 1945, où elle passe lieutenant dans la Section historique de l’Armée canadienne. Sa promotion convainc le Comité de sélection des artistes de guerre canadiens à Ottawa, présidé par H. O. McCurry (1889–1964), alors directeur de la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui Musée des beaux-arts du Canada), de lui décerner le titre d’artiste de guerre officielle.
Écrit à la manière d’un quotidien, avec ses éditoriaux, ses cahiers spéciaux, ses entrevues et ses titres accrocheurs, le journal ressemble à un document antérieur, The Daily Chore Girl—Galiano’s Dish Rag, produit par Lamb à l’été 1940 quand elle vivait et travaillait dans un centre de villégiature de l’île Galiano. Dotée d’un sens aigu de l’absurde, l’artiste manie efficacement l’humour, l’hyperbole et la caricature pour relater la vie militaire au quotidien.
Bien que W110278 soit créé à des fins documentaires et pour le propre amusement de Lamb, il ne fait aucun doute qu’il est également destiné à un public, et sa valeur est d’ailleurs rapidement reconnue. A. Y. Jackson (1882-1974), alors conseiller du Comité canadien des archives de guerre, y voit la preuve du potentiel de Lamb comme artiste de guerre. Certaines entrées seront par la suite retravaillées à d’autres fins. Ainsi, le croquis « Gas Drill, Vermilion » (« Exercice militaire avec masque à gaz, Vermilion »), servira de matériau préparatoire pour la toile Gas Drill (Manœuvres avec masque à gaz), 1944. Ce dessin préliminaire illustre un article intitulé « À force d’exercices militaires, les recrues deviennent des pros dans le froid de l’hiver », sur le thème « Les choses que vous devez savoir au sujet de l’entraînement de base ». Ici, Lamb décrit en détail une activité qui fait partie intégrante de l’entraînement de base: les exercices militaires. La manœuvre en question a lieu en hiver, sur une base militaire albertaine, par des températures de moins trente et des vents violents, tandis que les recrues sont bombardées d’insultes et qu’elles se débattent avec leur masque à gaz au son strident des sirènes.
L’effet comique des dessins, conjugué à un texte souvent empreint d’autodérision, résulte en un document profondément drôle. Une entrée datée du 1er décembre 1942, peu de temps après l’enrôlement de Lamb, est titrée « Le soldat Lamb passant un après-midi tranquille à la cantine ». Ce titre plein d’ironie fait contraste avec l’image de l’artiste maladroite qui essaie de jongler avec les tasses derrière un comptoir bondé. W110278 communique une expérience partagée, car les portraits et autoportraits de Lamb représentent en fait l’ensemble des membres du CWAC. Ses consœurs sont d’accord : « Une fois la guerre reléguée à l’histoire et les carrières militaires devenues choses du passé », peut-on lire dans leur bulletin de juin 1945, « l’album du lieutenant Lamb devrait être mis à la disposition de tous les membres du Service […] pour qu’elles puissant revivre dans ses pages […]. C’est l’histoire que nous avons toutes vécue, racontée par l’une d’entre nous. » En 2015, Bibliothèque et Archives Canada accèdera à leur souhait en numérisant intégralement le journal de Lamb à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de sa nomination comme seule femme peintre de guerre officielle du Canada.