Soldat Roy, Service féminin de l’Armée canadienne 1946
À la différence de ses figures anonymes, les portraits individuels que signe Molly Lamb Bobak datent principalement de ses années passées dans l’armée ou peu de temps après qu’elle ait obtenu son congé. Soldat Roy, Service féminin de l’Armée canadienne est le portrait d’une femme noire qui se tient les bras croisés, le regard fixé sur le comptoir de la cantine, où elle travaille très certainement. Lamb montre une femme déterminée mais solitaire, dont les yeux baissés et les bras croisés accentuent ce que Charmaine Nelson décrit comme le sentiment d’aliénation du soldat Roy. Le regard de Roy rappelle celui de la serveuse dans la dernière grande toile d’Édouard Manet Un bar aux Folies-bergère, 1882, que Lamb aurait certainement vue reproduite. Cette image contraste avec la féminité humble et réservée dépeinte dans les annonces de recrutement datant de la guerre. Soucieuse de préserver les normes de genre établies, l’armée veille à ce que les photographies, les films et les articles qu’elle diffuse rassurent le public quant au maintien des rôles traditionnels d’avant-guerre et à la subordination des femmes aux hommes.
La figure du soldat Roy occupe une bonne partie du plan pictural, ce qui met en relief son caractère affirmé. Fait notable, Lamb a choisi de représenter une figure dont le groupe racial brille par son absence dans les publicités du CWAC. Les services féminins associés à l’Aviation royale canadienne et à la Marine royale canadienne tenaient en effet à ce que leurs membres soient blanches. Comme le révèle ce tableau, le seul portrait à l’huile que l’artiste a peint en temps de guerre, Lamb Bobak ne se préoccupe nullement d’adhérer à l’image idéalisée des recrues du CWAC. Charmaine A. Nelson fait remarquer qu’ici « la relation entre l’artiste et le sujet est plus égalitaire […], car les deux femmes étaient des militaires et le soldat Roy n’était sans doute pas obligée (pour des raisons financières ou autre) de poser pour Bobak. »
Le croquis « Alice », 1943, et le Portrait of Joan Lowndes (Portrait de Joan Lowndes), 1952, ont également pour sujet des femmes remarquables. Le portrait de Lowndes, une journaliste artistique de Vancouver, est sensiblement différent de celui du soldat Roy. Au lieu d’un sujet issu d’une communauté marginalisée, Lamb Bobak dépeint cette fois une femme blanche élégamment vêtue. Au lieu du regard ferme du soldat Roy, Lowndes, assise les bras et jambes soigneusement croisés, jette un regard de biais. Lamb Bobak a peu produit de portraits; ici elle s’attarde à des qualités formelles, par exemple le traitement de la couleur. Certains commentateurs signaleront d’ailleurs que ce portrait fort original souligne les aptitudes de Lamb Bobak comme coloriste.
Les deux œuvres sont de parfaits exemples du travail de Lamb Bobak à différents moments de sa carrière. Soldat Roy met en valeur ses capacités d’observation et l’habileté avec laquelle elle glisse de subtiles critiques dans ses tableaux. Portrait de Joan Lowndes révèle un retour vers le langage propre à la peinture. L’artiste profite de l’occasion que lui offrent ces deux portraits pour peindre son sujet tout en réalisant une œuvre moderniste frappante.