Michael Snow est un esprit universel. Son travail porte sur la forme, qu’il traite en tenant soigneusement compte de la spécificité du procédé, qu’il soit matériel, spatial ou temporel. Si, dans ses œuvres, Snow cherche à rendre optimale l’expérience sensorielle, il le fait à l’intérieur de systèmes d’équilibre et de contrastes qui précisent les impressions en accentuant les distinctions. À cet égard, philosophie de l’esprit et du langage, phénoménologie et écologisme l’ont influencé.
Le style
Comme artiste visuel, Snow appartient à une génération véritablement inspirée par l’art européen du début du vingtième siècle — dont Piet Mondrian (1872-1944), Paul Klee (1879-1940), Henri Matisse (1869-1954) et Pablo Picasso (1881-1973) sont les principales références —, ainsi que par la vitalité de l’école de New York, surtout Jackson Pollock (1912-1956) et Willem de Kooning (1904-1997). Snow a toujours respecté la pureté de leurs tentatives. Il a reporté sur son travail leur façon de penser l’art, plus que leur style d’expression, mais quelque peu compliquée par les influences compensatoires de Dada et Fluxus, surtout la définition par Marcel Duchamp (1887-1968) de l’objet d’art dit tel par l’autorité de l’artiste. Ces exemples lui permettent d’expérimenter la technologie, mais aussi les matériaux les plus humbles sous la main et, parfois, de tenir le rôle de l’artiste dans son travail.
Snow a férocement résisté aux corrélations avec les mouvements dominants de son temps, le pop art et le minimalisme, mais aussi l’art conceptuel, avec lequel il s’est parfois associé, ayant souvent affirmé que son travail traite de la forme. En 1969, le théoricien américain du cinéma, P. Adams Sitney, invente l’expression film structurel, citant Wavelength, 1966-1967, comme une œuvre clé. Cette étiquette colle le mieux au travail de Snow, en autant que le film structurel, axé sur le procédé, ne soit pas confondu avec le structuralisme, qui systématise l’expérience humaine. En refusant d’être qualifié de minimaliste, Snow a lui-même suggéré d’être considéré comme un « maximaliste ». Toutefois, il est impossible d’employer ce mot, car il est associé à la politique révolutionnaire russe, mais on comprendra l’idée.
La théorie
Grâce au processus dialectique de Michael Snow, ses publics ont pu naviguer entre plusieurs problèmes et enjeux du modernisme et du postmodernisme, en raison partiellement des alternatives qu’il propose aux strictes orthodoxies. Son modernisme est performatif; son postmodernisme est paradoxalement puriste. En ce sens, il rejoint les théoriciens de l’art visuel, tels Hubert Damisch et Thierry de Duve, dans leurs lectures phénoménologiques et sémiologiques de l’expérience de l’art visuel. Snow s’initie à la philosophie dès l’adolescence; ses conversations publiées avec Bruce Elder (né en 1947) sont pleines d’allusions à l’histoire de la pensée, de Platon à Wittgenstein.
Dans un numéro spécial de 1984, la revue diacritics aligne son travail sur les fondements du postmodernisme — les idées de Jean-François Lyotard — en lui commandant une œuvre pour la couverture et les pages intérieures. Dans le cadre du regain de la phénoménologie par la perception sensorielle projective, Martha Langford (2001) et Jean Arnaud (2005) ont corrélé son travail avec la théorie haptique. Du point de vue de la méthodologie, telle que raffinée depuis les derniers soixante ans par la théorie politique et sociologique, il est peut-être plus facile de dire ce que Snow n’est pas. Il n’est pas un artiste social et son travail n’est pas politique, sauf quand il défend les valeurs libérales de la liberté d’expression, de la reconnaissance de la propriété intellectuelle et des droits moraux, de l’éducation publique et de l’importance de l’investissement étatique et privé à l’appui de la culture.
La technique
Michael Snow a pratiqué presque toutes les techniques que l’on peut voir dans un musée d’art contemporain ou au cinéma. On divise généralement son travail en trois catégories : art visuel, de ses premières œuvres sur papier à l’holographie; ses films, vidéos et ses installations filmiques; et la musique et le son, comprenant ses concerts et ses œuvres en galerie où le son est l’élément clé. Ces divisions sont reflétées dans trois livres d’une série de quatre, publiés pour coïncider avec The Michael Snow Project, la rétrospective que lui consacrent en 1994 le Musée des beaux-arts de l’Ontario et The Power Plant à Toronto; le quatrième livre, un recueil de ses écrits, relie ses activités par la mise en lumière des rouages de son esprit sur plusieurs années. La rétrospective torontoise et, par extension, ces publications précèdent son travail avec les médias numériques — sa création de DVD et de projections vidéo en galerie au vingt et unième siècle. Depuis 2000, il a également donné beaucoup plus de concerts improvisés lors de ses expositions. Ajoutons l’intérêt théorique porté au caractère performatif de son travail. Aujourd’hui, on voit généralement les trois facettes de sa créativité — art visuel, cinéma et son — comme complémentaires.
Une orchestration soignée a toujours été sa façon de travailler. Dans ses projets, perception, mémoire et imagination sont assortis au procédé et au processus. Le facteur humain est, et a toujours été, manifeste dans la création de ses œuvres et dans leur façonnement de notre compréhension. Dans l’emploi du dessin, de la peinture, de la sculpture, du moulage, du pliage, du panoramique ou de la scène pour faire de l’art visuel ou de la musique, ce qui compte, c’est la marque, l’empreinte ou l’énergie physique de l’artiste.
Toute œuvre peut servir d’exemple; certaines sont particulièrement frappantes. Au début des années 1980, Snow prend des photos qui répondent à son idéal de fabriquer « l’image photographique toute entière ». Il fait alors la distinction entre son travail photographique et l’art de l’observation du modernisme, surtout de l’expression concise de « l’instant décisif ». Snow utilise la photographie comme un outil pour une création méditative et prolongée depuis les années 1960. Son œuvre à images multiples, Tempête de neige, 1967, où des images monochromes réalisées depuis sa fenêtre sont disposées dans un champ de peinture-émail sur masonite, est une étude de la couleur grise. Une œuvre parente, Atlantic, 1967, fusionne image photographique et préoccupations sculpturales. De même, son concept de l’image « faite-pour-être-photographiée » croise nature morte et sculpture; parfois, il ajoute de l’aquarelle à des épreuves noir et blanc, comme dans Meeting of Measures, 1983, risquant la pureté de la photo pour mettre en valeur sa genèse comme objet fait main dans l’atelier de l’artiste. Dans ces projets, Snow s’amuse aussi avec la matérialité et l’échelle pour créer des juxtapositions visuelles — des petits casse-tête artisanaux.
Il propose aussi des correspondances sous forme d’objets regroupés devant l’objectif. Une œuvre importante à ce titre est Digest, 1970-1998, dont la pile de 23 images couleurs témoigne de la création d’un objet tridimensionnel, un contenant en aluminium rempli d’objets de plastique, qui ont été immergés dans le plastique. Peu amateur de chambre noire, Snow a fréquemment utilisé le Polaroïd pour obtenir la traduction instantanée d’une fraction de seconde de réalité extérieure en image-objet figé. Sa suite autobiographique, Still Living–9 x 4 Acts–Scene 1, 1982, propose des correspondances codées, rendues plus compliquées par leur disposition en quartettes d’images à développement chromogène sur une feuille.
De même, dans des commandes, assemblages ou installations plus ambitieuses, la présence étendue de l’artiste — le sentiment que nous partageons son espace créateur — est cruciale à notre appréciation de l’œuvre. Snow a fait des commandes ou des collaborations avec des ingénieurs, des fabricants, des photographes et des techniciens pour réaliser ses idées. Dans ces cas-là, des éléments ou des objets d’art au complet sont autorisés par l’artiste. Sur ces questions, il a élaboré son approche au cas par cas, parfois motivé par des détails purement pratiques, mais néanmoins, on peut considérer son travail comme un guide de l’évolution des méthodes de travail survenue durant l’industrialisation et la technicisation rapides de l’art dans la seconde moitié du vingtième siècle.