Lac Clair 1960
Cette peinture abstraite fait partie d’un groupe d’œuvres, qui comprend aussi des collages et des sculptures créés de 1959 à 1961. Influencé durant ses premières années par le peintre germano-suisse Paul Klee (1879-1940), Snow met alors de côté — temporairement, en fin de compte — toute évocation de la figure et réfléchit en profondeur au processus et à la matérialité de la création artistique. Qu’est-ce que cet objet appelé « peinture »? Pour le Snow de cette époque, c’est une surface monochrome dont touches et textures racontent le processus de création. Ainsi, la surface bleue de Lac Clair conserve la mémoire du peintre appliquant la peinture, qui est plus concentrée au centre, — non pas plus foncée ou plus claire, mais tout simplement plus travaillée que dans les quatre coins, qui sont la mesure de la portée de son bras. Cette mesure — une présence humaine sans représentation — est soulignée par le ruban de papier adhésif collé sur tous les bords. C’est une sorte d’encadrement, quoique imparfait, car la ligne du périmètre est discontinue. Pour repérer le ruban, il faut imaginer la peinture pivoter. Le ruban se trouve toujours en haut à droite. Ce simple procédé, combiné avec l’arc des coups de pinceau, met l’œuvre en mouvement sans perturber la sérénité de son centre bleu.
Green in Green (Vert sur vert), 1960, huile et lucite sur toile, fait elle aussi partie de ce groupe d’œuvres. Le titre et la surface animée du tableau renvoient non seulement à la couleur, mais aussi à l’utilisation du médium, au processus et au geste : le plus foncé des deux verts forme le dessous, qui, protégé durant la prochaine application par des bandes de ruban de papier adhésif, s’élève comme une forme géométrique sur la surface. Dans la même veine, on trouve Years (Années), 1960, une gouache sur un collage de papier sur support de carton ondulé peint. Dans cette œuvre, Snow procède par addition, couvrant une surface par une autre qui flotte au-dessus, comme une membrane ou un rideau. Pour Snow, le ruban dans Lac Clair est aussi un « ajout », car, sans ajouter beaucoup d’épaisseur, il chosifie néanmoins l’œuvre. Ses œuvres de cette période au caractère nettement plus tridimensionnel, — Shunté, 1959, et Quits, 1960, des abstractions sur bois peint —, semblent, elles aussi, remettre en question leur identité de sculpture, puisque leurs éléments coulent ou tombent en cascade du mur (le lieu de la peinture) sur le plancher.
Lac Clair devait représenter sa propre création, mais une fois terminée, la peinture lui rappelle le chalet de ses grands-parents Lévesque au bord d’un petit lac près de Chicoutimi (Québec). Construit sur une île, et le recouvrant presque, le chalet était entouré d’eau qui clapotait doucement tout autour, reflétant la lumière sur les murs et plafonds. Dans son tableau, Snow place la peinture bleue au centre de ce souvenir d’enfance profondément intériorisé. Il reprendra les thèmes de l’eau et de la lumière dans son travail, notamment dans son film Wavelength, 1966-1967.