Lionel LeMoine FitzGerald considère le style et la technique comme les seuls moyens par lesquels l’artiste peut s’exprimer. C’est pourquoi il utilise une variété d’approches techniques et un large éventail de médias pour articuler sa vision artistique. Il choisit ses sujets dans son environnement immédiat et expérimente sans cesse différentes façons de communiquer par son art.
Débuts dans les arts appliqués
Pour Lionel LeMoine FitzGerald et bon nombre de ses contemporains, y compris les membres du Groupe des Sept, l’obtention d’un emploi dans une entreprise commerciale marque le point de départ d’une carrière artistique. En effet, un revenu issu du commerce de l’art est souvent une nécessité pour survivre. Dans une déclaration autobiographique écrite alors qu’il est âgé de cinquante ans, FitzGerald se souvient de ses débuts dans le monde des arts : « À l’automne 1912, je me suis joint au département artistique d’une agence de publicité, et je me suis marié. C’était le début de neuf années occupées à une multitude de projets variés, dont des dessins publicitaires, des peintures murales et des esquisses pour la décoration intérieure, des affiches et des fonds de vitrines, des décors de scène, des lettrages et ainsi de suite. »
FitzGerald fait là référence à la période qui s’étend jusqu’en 1921, année où il quitte Winnipeg pour étudier à l’Art Students League of New York. Bien que les détails précis de cette première expérience de travail demeurent inconnus, il est possible que pendant au moins une partie de cette période, FitzGerald ait été à l’emploi de la Stovel Company Ltd, une maison de gravure, de lithographie et d’imprimerie de Winnipeg. Curieusement, il n’a jamais été à l’emploi de la grande maison de photogravure et d’imprimerie torontoise Brigdens of Winnipeg Limited, qui a ouvert une succursale à Winnipeg en 1914.
En février 1918, FitzGerald est employé au département d’étalage de la T. Eaton Company Ltd, où il conçoit la présentation visuelle des vitrines et des étalages, ainsi que du défilé annuel de Noël. Même s’il considère son salaire de 30 $ par semaine comme de « l’esclavage », il est évident qu’il acquiert par le biais de cet emploi une expérience précieuse dans divers modes d’expression et techniques appliquées. FitzGerald consigne soigneusement dans un livre de comptes les travaux qu’il effectue à la pige pendant cette période. En décembre 1915, il conçoit un certain nombre de couvertures pour John Gibb de la Clark Bros & Co et reçoit 10 $ pour Shooting the Rapids (Descente des rapides), v. 1915, copié d’un tableau dont il a possiblement découvert une reproduction par l’illustrateur américain Frank Schoonover (1877-1972) dans le Harper’s Monthly. Des couvertures pour les magazines Motor and Sport et Motor in Canada suivent en 1917, rapportant 20 $ chacune. Cette somme a augmenté de façon significative pour la couverture du 3 décembre 1919 de The Grain Growers’ Guide qui lui a rapportée 75 $. FitzGerald est également mandaté cette année-là par le Chemin de fer Canadien Pacifique, qui lui a versé 15 $ pour chacune des affiches qu’il a réalisées, dont Lake Louise (Lac Louise), Winnipeg Beach (Plage de Winnipeg), Great Lakes Service (Service des Grands Lacs), Lake of the Woods (Lac des bois), Big Outdoors (Grands espaces), Motor on Pacific Coast (En auto sur la côte du Pacifique) et Golf on Pacific Coast (Golf sur la côte du Pacifique) — aucune n’ayant encore été identifiées, si elles existent encore.
Bien que FitzGerald commence à enseigner à la Winnipeg School of Art en 1924, il continue de travailler comme pigiste commercial, notamment pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. L’artiste conçoit, en décembre 1924, la couverture de The Beaver, le magazine de la compagnie. Deux ans plus tard, FitzGerald conçoit l’édition 1926 du calendrier de La Baie avec une interprétation de style postimpressionniste d’un tableau de Cyrus C. Cuneo (1879-1916).
FitzGerald acquière une connaissance technique énorme au cours de ces années dans le monde de l’art commercial et maîtrise un large éventail de procédés. Bien que son répertoire de sujets en beaux-arts se limite essentiellement aux paysages et aux natures mortes, l’artiste demeure ouvert tout au long de sa carrière à l’exploration d’un large éventail de modes et de moyens d’expression.
J’ai pratiqué de nombreuses techniques — huile, aquarelle, pastel, crayon, stylo et encre, gravure à l’eau-forte et à la pointe-sèche, lithographie, gravure sur bois et métal, sculpture sur bois et sculpture sur pierre, etc., mais la technique que je préfère semble toujours être celle avec laquelle je suis en train de travailler. Cependant, puisque la majeure partie de mon travail a été réalisé à l’huile, à l’aquarelle ou au crayon, alors s’il y a une préférence, ce sont ces techniques. Chaque procédé a son attrait particulier, ses lacunes et ses avantages spécifiques, et il est bon de tous les expérimenter, ne serait-ce que pour voir les caractéristiques de chacun.
Modernisme d’avant-garde
FitzGerald parfait sa maîtrise de la technique picturale lorsqu’il est exposé à l’art moderne d’avant-garde durant ses années d’études – 1921-1922 – à l’Art Students League of New York. Son expérience new-yorkaise est assez saisissante pour qu’il la décrive comme « une soudaine secousse à tout point de vue. » Jusqu’alors, FitzGerald avait été soumis à diverses influences européennes (Barbizon, l’école de La Haye et l’impressionnisme) avant de découvrir le travail de grands artistes postimpressionnistes tels que Vincent Van Gogh (1853-1890), Georges Seurat (1859-1891) et Paul Cézanne (1839-1906). Bien qu’on ne sache pas exactement ce qu’il a vu à New York, il est fort probable qu’il ait acquis une connaissance de première main de la peinture de ces artistes, peut-être au Metropolitan Museum of Art et au Brooklyn Institute of Arts and Sciences (aujourd’hui le Brooklyn Museum of Art).
FitzGerald s’efforce d’intégrer ces influences modernes dans sa peinture tout en cherchant sa propre voie pour se démarquer. The Harvester (Le moissonneur), v. 1921, évoque Van Gogh non seulement en termes de sujet, mais aussi dans la façon dont la couleur est appliquée. Ici, FitzGerald adopte les coups de pinceau vigoureux et tranchants de Van Gogh et son utilisation des couleurs primaires. Le contraste complémentaire du bleu et de l’orange, que l’on retrouve également dans de nombreuses peintures du maître néerlandais, est déployé audacieusement pour définir les ombres.
Quelques années plus tard, Potato Patch, Snowflake (Carré de pommes de terre, Snowflake), 1925, montre une gamme restreinte de couleurs appliquées sur la toile, laissant paraître des pans de tissu non colorés lui conférant un aspect inachevé, caractéristique de nombreux tableaux de Cézanne. Au début des années 1930, FitzGerald a développé son propre style dans des œuvres telles que Doc Snyder’s House (La maison du docteur Snyder), 1931, ou Assiniboine River (Rivière Assiniboine), 1931. Ce dernier tableau est composé d’une palette restreinte appliquée uniformément de façon à ce qu’aucun trait de pinceau individuel ne soit visible, une manière exemplaire de son style de maturité du début des années 1930.
Railway Station (Station de chemin de fer), 1931-1932, montre le niveau de compétence exceptionnel de FitzGerald lorsqu’il dessine des croquis au crayon en plein air. Dans cette œuvre, FitzGerald utilise une gamme restreinte de tonalités pour saisir l’effet de la lumière aveuglante des Prairies. Stylistiquement, le dessin a des affinités avec l’art des précisionnistes américains, dont le mouvement a pris de l’ampleur au milieu des années 1920; leur art se caractérise, notamment, par des vues urbaines et industrielles conçues comme des formes géométriques précisément délimitées. FitzGerald a probablement rencontré pour la première fois Charles Sheeler (1883-1965), Charles Demuth (1883-1935) et Preston Dickinson (1889-1930) à New York, dès mars 1922, lors d’une exposition à la Wanamaker Gallery. Plus tard, en 1930, lors d’une visite à l’Art Institute of Chicago, il note dans son journal que le dessin de Charles Sheeler, New York, 1920, l’a frappé par « son rendu très puissant et extrêmement soigné ». Pourtant, la Station de chemin de fer de FitzGerald diffère du travail de Sheeler et d’autres précisionnistes en ce sens que ses formes semblent être faites par des mains humaines, à l’échelle humaine, plutôt qu’être des constructions géantes de l’ère des machines.
La prégnance de l’esthétique précisionniste chez FitzGerald a été renforcée par l’intermédiaire de C. Keith Gebhardt (1899-1982), directeur de la Winnipeg School of Art de 1924 à 1929. Pendant cette période, Gebhardt est sans doute au courant des derniers développements de l’art américain grâce aux liens étroits qu’il entretient avec son alma mater, l’école de l’Art Institute of Chicago. De plus, son expérience en architecture et en génie aide FitzGerald à documenter ses croquis au crayon à pointe dure, tel que St. Boniface, Manitoba (Saint-Boniface, Manitoba), 1928. Alors que les deux artistes partagent des affinités stylistiques et, sans aucun doute, leurs réflexions sur le précisionnisme, le style de FitzGerald est plus abouti grâce à son talent inné pour sélectionner et ne garder dans la composition que ce qui est nécessaire.
Attiré vers l’essentiel
Le dessin est finalement à la base de l’œuvre de FitzGerald, quel que soit le procédé qu’il choisit. Même une étude peut prendre autant d’importance pour lui qu’une œuvre d’art plus élaborée. L’une de ses activités préférées est de dessiner et peindre en plein air, par tous les temps. On sait qu’il a fabriqué une petite cabane sur des patins de traîneau, chauffée par un poêle, pour pouvoir travailler à l’extérieur en hiver lorsque la température descend bien au-dessous de zéro (voir Williamson’s Garage [Le garage de Williamson], 1927, et Doc Snyder’s House [La maison du docteur Snyder], 1931). Dans la chaleur étouffante de l’été, FitzGerald a l’habitude de s’asseoir dans la prairie, exposé aux éléments, abrité seulement d’un parapluie ou d’un parasol. Cela est documenté dans une photo le montrant en train de travailler Haystacks (Meules de foin), 1934, un dessin au fusain sur papier vergé. Ce type de support texturé est idéal pour favoriser la transition entre les tons foncés très clairs et très intenses que permet en particulier le fusain.
FitzGerald utilise également le graphite, sa technique préférée peut-être, pour capturer la lumière brillante et pénétrante du ciel des Prairies. Le travail régulier au crayon de Prairie Landscape (Paysage des Prairies), le 27 juin 1935, où les marques sur le papier vélin, lisse, sont réduites au minimum (comme des peintures à l’huile sans coup de pinceau), permet de montrer la luminosité uniforme qui caractérise souvent une journée ensoleillée dans les Prairies. « La seule façon dont je peux expliquer l’extrême délicatesse des dessins au crayon est par la lumière extraordinaire que nous avons ici. Les dessins paraissent toujours assez foncés quand je les travaille en plein air, sinon je ne pourrais pas les faire, mais quand je les rapporte à la maison, on dirait qu’ils se sont effacés pendant le court trajet. » Pour un effet plus dynamique avec un sujet similaire, FitzGerald se tourne vers l’aquarelle dans Manitoba Landscape (Paysage manitobain), 1941. Les coups de pinceau vifs décrivent les nuages turbulents qui dominent la composition et suggèrent que le temps dans les Prairies est puissant et change constamment.
En plus des aquarelles et des dessins, FitzGerald découvre qu’il peut également obtenir des effets de lumière inhabituels avec la linogravure. Harvest Season (Le temps des récoltes), v. 1935, est exécutée par le découpage de petits fragments d’un bloc de linoléum à l’aide d’un outil pointu et ensuite par l’impression de la matrice avec une encre noire au fini onctueux. Le ciel nocturne, dramatique et lumineux, et les moyettes de blé, qui semblent animées, assument une qualité du vivant propre à la nature que FitzGerald continue d’explorer ultérieurement dans son œuvre abstraite.
FitzGerald dessine souvent une nature morte en utilisant une certaine technique, puis la retravaille à l’aide d’un procédé autre afin d’explorer différentes possibilités formelles. Dans un tableau comme Still Life, Two Apples (Nature morte, deux pommes), v. 1940, il applique côte à côte de petites touches de peinture rectilignes qui combinent les traits constructifs de Paul Cézanne et d’Augustus Vincent Tack (1870-1949) avec la méthode pointilliste de Georges Seurat (1859-1891). Cette technique permet à FitzGerald de créer de subtiles transitions de lumière qui donnent de la solidité et du volume aux pommes. Vers la fin des années 1940, il découvre que les points et les petits traits entrecroisés en graphite, stylo, craies de couleur ou aquarelle créent un effet semblable. Comme Cézanne, il cherche continuellement des moyens de rendre la solidité des objets en relation les uns avec les autres à travers le volume, l’espace et surtout la lumière. Green Cup and Three Apples (Tasse verte et trois pommes), 1949, montre comment ce traitement au graphite a été développé dans Still Life, Three Apples (Nature morte, trois pommes), 1955, une aquarelle réalisée six ans plus tard.
Finalement, la technique consistant à juxtaposer de petites touches de matière semble prendre vie indépendamment de tout sujet. Abstract (Abstrait), 1955, au crayon et à l’encre, est annoté « 20° below (20 ° sous zéro) », suggérant que FitzGerald a continué à travailler en plein air pour rendre cette évocation abstraite du paysage et de la nature morte. Cette approche a finalement mené, dans les années 1950, à des œuvres dans lesquelles un sujet donné n’est plus identifiable. « J’utilise maintenant ce savoir accumulé de formes naturelles dans certaines peintures de nature abstraite où je peux donner plus de pouvoir à l’imaginaire libéré de l’insistance des objets vus, en utilisant les couleurs et les formes sans référence à celles de la nature. Cela exige un équilibre délicat de l’image, nécessitant de nombreux dessins préliminaires et schémas de couleurs, avant de s’attaquer à l’image finale. » Dans les peintures tardives de ce type, telles que Abstract in Blue and Gold (Abstrait en bleu et or), 1954, FitzGerald applique de minuscules coups de pinceau pour réaliser des transitions subtiles de tons et de couleurs entre différentes zones de composition.
FitzGerald apprécie manifestement l’effort physique qu’implique la pratique de l’art, que ce soit en plein air, en atelier ou à la maison. Peu après sa mort, une personne qui visitait sa maison a observé de nombreux objets sculptés ou fabriqués par l’artiste, dont une porte en bois, un bassin triangulaire avec des carreaux colorés, une sculpture en pierre, un bas-relief coloré de deux figures féminines, ainsi que des « loquets sculptés, des poignées de porte, etc., qu’il a faits comme cadeaux pour des amis ou pour orner sa maison. » Ces sculptures représentent le monde privé de FitzGerald, qui n’a pas peur de créer peu importe la matière qu’il a sous la main. Une photographie de 1936 documente l’artiste taillant une sculpture en chêne qui semble représenter une figure féminine se transformant en plante et se mêlant à un tronc d’arbre. L’enthousiasme de FitzGerald à expérimenter avec le bois pour explorer ce type d’anthropomorphisme est un exemple parfait de son choix d’un moyen d’expression étroitement aligné avec le sens qu’il veut donner à une création.
Ainsi, une technique telle que la sculpture et un matériau comme le bois étaient tout simplement des véhicules utilisés par FitzGerald dans sa recherche incessante du meilleur moyen de communiquer en tant qu’artiste. La façon dont il travaille sur la toile, le papier ou tout autre support vient avec une mise en garde — la technique n’est que la servante de l’expression : « Considérez la technique comme un moyen par lequel vous exprimez ce que vous avez à dire et non comme une fin en soi. Ce que vous avez à dire est de première importance; la façon dont vous le dites est toujours secondaire. »