Décalcomanie no 1, 1946
Dans Décalcomanie no 1 Jean Paul Riopelle a plié une feuille à l’oblique ici et là pour obtenir des figures vaguement symétriques; il est ensuite intervenu au pinceau dans la composition, de manière très énergique. Le titre, Décalcomanie, renvoie à un procédé employé par les artistes pour se soustraire à la création d’une œuvre au profit du hasard, ce qui fascinait Riopelle. Son processus créatif a été nourri par cette technique en ce que le résultat final peut être complètement fortuit et repose sur le fait de « ne pas voir ». En ce sens, Décalcomanie no 1 est un exemple de l’automatisme pratiqué par Riopelle à la fin des années 1940.
Le procédé de décalcomanie, inventé en 1750 par Simon François Ravenet (1706-1774), consiste à maculer une feuille de taches d’encre pour ensuite la presser sur une autre surface propre – bois, métal, verre et plus encore. Le but est de créer une composition à partir des formes aléatoires révélées par cette méthode, comme la roue de bicyclette et le lion qui ont surgi dans The Lion-Bicycle (Lion-bicyclette), 1935, d’Óscar Domínguez (1906-1957), un autre surréaliste qui a embrassé avec enthousiasme toutes occasions d’intégrer l’élément de hasard dans l’art.
Dans une autre œuvre fondée sur la décalcomanie, titrée Gitan, 1946, Riopelle a eu recours à au moins trois pliages à l’oblique. Il n’obtient d’ailleurs pas toujours, de part et d’autre de ces axes, des figures parfaitement symétriques. La tentation d’intervenir après coup sur le résultat était sans doute trop forte pour ne pas y succomber et on remarque que certaines taches ont été ajoutées après le processus initial de décalcomanie, se jouant du hasard pourtant si critique à la compréhension du procédé. Une telle intervention n’est toutefois pas inusitée, les peintres retouchant volontiers les formes d’abord produites sous l’effet du hasard, et les interprétant ensuite à leur guise.
Bien que rarement à notre connaissance, il est tout de même arrivé à Riopelle de plier une feuille par le milieu pour obtenir un effet parfaitement symétrique. Ainsi Versombreuse, 1946, jouant comme la tache d’un test de Rorschach, fait apparaître une figure qui, dans ce cas, ressemble à un visage. Si les formes dominantes révèlent une symétrie indéniable, les taches de couleurs, dont la fluidité les apparente parfois à des gouttes d’aquarelle, confèrent un certain effet aléatoire à l’ensemble. La composition repose alors sur les irrégularités des formes et la densité des teintes obtenues sous l’effet du hasard.