Avatac, 1971

Avatac est une vaste composition en quatre parties inspirée des jeux de ficelle inuits. À partir de la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1970, Jean Paul Riopelle en est fasciné; il considère que les Inuits sont parvenus à créer un langage visuel transitoire qui est, selon l’historien de l’art Ray Ellenwood, « figuratif mais non purement représentationnel ». Les formes non-objectives qui habitent la peinture de Riopelle résument la compréhension qu’il a de l’essence de ces jeux. 

Appelés ajaraaq en Inuktitut, les jeux de ficelle consistent à faire seul, ou avec un partenaire, des configurations diverses avec une ficelle qu’on se passe entre les doigts. Bientôt, un attelage à chiens qui courent, une tente, un séchoir à vêtements, une pelle à neige, des lunettes et un lièvre qui échappe au chasseur prennent vie. Se mesurant à cette forme de jeux inuite, Riopelle présente dans Avatac des traits noirs et souples, presque vivants, s’agitant en surface d’une composition multicouches, et dont la trame semble faire écho aux formes dominantes des jeux de ficelle.

L’avatac évoqué par le titre de l’œuvre est un flotteur servant à la chasse traditionnelle et fait d’une seule peau de phoque. Il est fermé par des bouchons de bois aux extrémités et il est relié au harpon et à la pointe du harpon par une corde faite également en peau de phoque. Un avatac permet de maintenir à flot la prise du chasseur ou sert de balise pour localiser sous l’eau un mammifère marin qui a été harponné. Dans la composition de Riopelle toutefois, les motifs énergiques semblent détachés de la signification étoffée du motif et de son appellation dans la tradition inuite; il en résulte ce que Michel Martin interprète comme un « large plan paysagiste », animé de formes ludiques, pour lequel l’artiste invite le spectateur à « décoder le signe ». Riopelle a consacré toute une série de peintures, puis une exposition à ce style : Ficelles et autres jeux a été présentée au Centre culturel canadien à Paris et au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 1972.

Ce qui a pu retenir l’attention de Riopelle envers ces jeux est le passage d’une simple configuration de lignes à une interprétation figurative de la part des joueurs. Après quelques manipulations, un bout de ficelle entre les doigts aboutit à une forme ouverte à l’interprétation. La conception que Riopelle se fait de sa démarche artistique, qu’on a jugé à tort selon lui comme abstraite, suppose une direction analogue aux jeux de ficelle : de l’abstrait vers la nature. Il ne s’agit donc pas d’imiter (mimésis) la nature, tel un modèle à reproduire qui agirait comme point de départ, mais d’aller à sa rencontre, de partir de la couleur, de la forme, de la matière pour aller vers elle, sans prétendre y correspondre exactement. Dans les jeux de ficelles inuits, comme dans l’œuvre de Riopelle, cette rencontre avec la nature est très allusive.