L’orpheline 1956
Chez Jean Paul Lemieux, le vocabulaire technique s’arrime parfaitement au contenu émotif de l’image. Pour incarner la détresse et la solitude de l’enfant orpheline, Lemieux la place au centre du tableau, légèrement décalée vers la gauche, devant un champ délimité par l’église et quelques bâtiments d’un village isolé. La tête, posée sur un petit cou cylindrique, émerge de l’enveloppe noire qui lui sert de vêtement. Le peintre élimine toute surcharge de traits dans le visage. Subsistent les yeux, le nez, la bouche. Le rendu élémentaire touche aussi la coiffure et le vêtement : une boucle blanche posée sur la pauvre chevelure sombre constitue l’unique ornement de la composition.
L’orpheline témoigne admirablement de la conception que Lemieux se fait de la peinture, avant tout un espace plan où il parvient à maximiser l’expression avec un minimum de formes et de couleurs. Fixant le spectateur, des yeux humides et creux, enveloppés d’un cerne en grisaille valent à l’enfant une expressivité remarquablement triste et émouvante. Avec cette figure qui s’impose, un échange particulier sur la condition humaine s’instaure entre le spectateur et l’orpheline. La peinture de Lemieux excelle à opérer ce contact enrichissant.
Quelques années plus tard, le peintre reviendra sur le tragique de l’enfant dans une nouvelle composition, La mort par un clair matin, 1963. Cette fois-ci, la fillette est accompagnée de sa mère. Malgré leur proximité, les endeuillées sont seules, prisonnières de la masse noire de leurs vêtements et des sentiments intimes qui les envahissent. L’orpheline est animée d’une désespérance sans issue, tandis que dans son tableau de 1963, Lemieux oppose à la mort le pouvoir de la vie, celle du « clair matin » dans la lumière chaude du paysage, auquel fait écho le décor champêtre.