L’été à Montréal 1959
Sans qu’ils soient abstraits à proprement parler, certains tableaux de Jean Paul Lemieux font référence à ce courant de l’abstraction qui anime le milieu des arts visuels depuis la fin des années 1930 au Québec. Il est intéressant de rappeler que lorsque Lemieux fait de la critique d’art, il est le premier, en 1938, à aborder l’abstraction dans la presse canadienne-française. À l’époque, il conçoit cette option picturale comme « une dégénérescence du cubisme, combinaison de la couleur pour la couleur et de la forme pour la forme, sans préoccupation du sujet traité. » Du reste, au cours de sa carrière, le peintre ne s’abandonnera jamais à l’abstraction.
Pourtant, Lemieux garde toujours contact avec l’art qui se fait autour de lui et, malgré son attachement à la figure, il explore le pouvoir symbolique de la forme plastique en la réduisant à sa plus simple expression. Il atteint parfois les frontières de la non-figuration. On peut voir de beaux témoignages de ce glissement dans quelques scènes vidées de la figure humaine, notamment des paysages urbains.
L’été à Montréal figure en tête de cette peinture minimaliste frôlant l’abstraction. Le sujet de la ville devient un pur prétexte plastique qui n’a que peu de lien avec le réel mais qui doit beaucoup au souvenir durable d’une journée caniculaire à Montréal. Le sfumato atmosphérique de la surface supérieure traduit, dans les tons chauds d’orangé, de jaune et de kaki, la chaleur écrasante qui enveloppe la ville, dont la présence n’est suggérée que par la silhouette éthérée et tronquée de blocs de couleur.
« Les villes me fascinent », confie Lemieux. « Je les vois vidées, et j’aimerais peindre une ville entièrement déserte. » En 1963, il évoque cette sensation dans un paysage hivernal, Ville enneigée, constitué de petites notations rectangulaires qui se pressent les unes contre les autres de façon à recréer l’impression de densité propre aux espaces urbains. Au loin, la silhouette des édifices de la ville délimite l’horizon. Les éléments disposés en forme de grille suggèrent un lien avec Piet Mondrian (1872-1944) qui, vers 1915, soumet ses paysages aux lignes de force de la composition, simplification qui le conduira bientôt à l’abstraction. Rappelons que l’influence de Mondrian marque la pensée de Paul-Émile Borduas (1905-1960) et le développement de la peinture plasticienne à Montréal dans les années 1950.
Qu’elle soit prisonnière de la chaleur accablante de l’été ou de la froidure de l’hiver, la ville de Lemieux après 1956 est empreinte du caractère intemporel et immobile généré par une économie de moyens plastiques.