Julie et l’univers 1965
Avec son paysage de neige désertique, sa ligne d’horizon tombante et son personnage qui déborde le cadre, Julie et l’univers est emblématique de la période classique (1956-1970) de Jean Paul Lemieux. Lorsqu’il peint ce tableau, en 1965, l’artiste est dans la plénitude de ses forces expressives. Il a 61 ans et vient tout juste de prendre sa retraite de l’enseignement à l’École des beaux-arts de Québec. Il accueille avec allégresse cette libération qui lui permet de consacrer tout son temps à la peinture.
Parmi les thèmes qui inspirent Lemieux à cette époque, celui du temps qui passe est sans aucun doute le plus marquant et le plus durable. Sa production met en scène des personnages de tout âge, de l’enfance à la vieillesse. Une petite humanité anonyme prend vie sur la toile. Parfois, le peintre puise dans ses souvenirs comme l’évoquent 1910 Remembered, 1962, et Autoportrait, 1974. Le plus souvent, ses figures sont des allégories du temps : jeunes ou vieilles, homme ou femmes, elles posent seules dans un décor dépouillé, leur regard fixant le spectateur, avec lequel elles sont disposées à échanger.
Ainsi en est-il de Julie et l’univers, devenue une icône de la maturité picturale de Lemieux. L’univers, c’est le pays, vaste et froid dans sa blancheur hivernale. Julie, c’est la jeunesse, l’âge de tous les possibles. Sa présence, frontale et verticale, impose la candeur d’un regard franc. La chaleur chromatique de son manteau la projette à l’avant, laissant les faibles luminosités d’un soleil voilé définir le pays. Ici, l’espace et le temps sont magistralement convoqués. L’échange est fructueux.
On ne s’étonnera pas que le tableau connaisse un grand succès lors des nombreuses expositions dont il fait partie, au pays et à l’étranger, notamment en Russie en 1974, ni qu’il figure dans la chanson 1910 Remembered, de l’auteur-compositeur québécois Jean Lapointe, inventaire poétique qui capture admirablement l’essence de la relation de Lemieux au temps, à l’espace et à la solitude.
Il a fait des personnages
Qui se cherchent sans se trouver
Des inconnus sans visages
Qui rêvent de se parler
Ils ont sûrement trop d’espace
Pour pouvoir se rencontrer
Et je crois que le temps qui passe
Les a bien trop éloignésDans un grand pays de neige
On les a vus ce matin
Former le plus beau cortège
Pour prendre le même train
Car ils s’en vont à la fête
Pour Julie et l’univers
Des souvenirs plein la tête
D’un temps où tout était clair.– Extrait de 1910 Remembered, 1981 (Marcel Lefebvre / Jean Lapointe)