Ruisseau au clair de lune 1933
En 1933, William Lyon Mackenzie King, trois fois premier ministre du Canada entre 1921 et 1948, acquiert deux tableaux de Watson : Evening Moonrise (Lever de lune, le soir) et Moonlit Stream (Ruisseau au clair de lune), tous deux datant de 1933. Ce dernier, une vue nocturne sombre et lourdement peinte d’une rivière reflétant les couleurs inhabituelles des nuages dans un ciel éclairé par la lune, est un achat. Au même moment, Watson a offert à King Lever de lune, le soir en cadeau. Les deux toiles semblent être entièrement des projets d’atelier, plutôt que d’avoir d’abord pris vie lors de l’un des voyages du peintre qui ont conduit, par exemple, à Clair de lune, déclin de l’hiver en 1924.
King est né et a grandi près de Doon, à Berlin (aujourd’hui Kitchener), en Ontario, et à l’âge adulte, il devient ami avec Watson. Leur relation est renforcée par leur intérêt commun pour la région de Kitchener-Waterloo, ainsi que pour le spiritisme et l’occultisme. Watson est intrigué par le spiritisme tout au long de sa vie et, bien que ses écrits sur le sujet soient vagues, il semble avoir adhéré à une approche panthéiste qui cherche un sens transcendant dans les phénomènes naturels. « Toute la nature, jusqu’à l’horizon, émettait l’accord sombre qui serait à l’unisson avec le refrain des perdus et les cavernes de la forêt vibraient dans leur profondeur mystique », se souvient-il dans une description non datée de l’expérience d’un paysage nocturne. « [Tout] semblait relié par des liens invisibles et les limites de la terre semblaient s’élever dans les airs, comme connectées aux esprits d’autres mondes. »
Ruisseau au clair de lune peut être interprété comme appuyant ces idées par son obscurité évocatrice, les couleurs inhabituelles du ciel et de l’eau, le flou des détails du monde, et l’inclusion proéminente d’une lune qui illumine l’obscurité environnante. La compréhension du tableau par King se rapproche davantage de la religion que de l’interprétation panthéiste préférée par Watson. Dans une lettre, King décrit Ruisseau au clair de lune comme étant « une sorte de présence, me rappelant toujours la vie dans l’au-delà, et l’art qui y trouve sa perfection », tandis que dans une autre, il se fait poétique à propos de la lumière de la toile qui est « comme la réponse à la prière « Éclaire notre obscurité, nous t’en supplions, Seigneur ». Elle a capturé la lumière divine. » Cependant, King avoue aussi qu’il a de la difficulté à comprendre les couleurs inhabituelles dans le ciel de Ruisseau au clair de lune et de Lever de lune, le soir. Certes, les tonalités du ciel de la première ont peu en commun avec celles utilisées par d’autres artistes canadiens, qu’ils soient traditionnels ou modernes.
La petite taille de l’œuvre est principalement due à plusieurs crises de santé qui entravent la capacité de Watson, âgé de 78 ans, à travailler à plus grande échelle. Et bien que l’épaisseur avec laquelle la toile est peinte, la perte correspondante de détails naturalistes, l’obscurité du paysage et les couleurs saisissantes du ciel et de la rivière ne sont pas des innovations à ce stade de la carrière de Watson, elles sont réunies ici avec une intensité nouvelle. Ruisseau au clair de lune existe donc en tant que déclaration de fin de carrière très personnelle d’un artiste déconnecté depuis une quinzaine d’années des développements de l’art canadien. En effet, 1933, l’année où Watson réalise Ruisseau au clair de lune, est aussi l’année de la naissance du Groupe des peintres canadiens : un groupe dont la plupart des vingt-huit membres fondateurs sont des représentants de divers courants de l’art moderniste canadien. Ruisseau au clair de lune ne comporte aucune parenté avec le travail d’aucun d’entre eux.