Porte d’écluse v.1900-1901
Porte d’écluse est un tableau complètement harmonieux. Ses couleurs foncées omniprésentes, son riche travail au pinceau (beaucoup plus épais que Les scieurs de bois, 1894) et son sens aigu du mouvement interne unissent la figure humaine, les arbres, le ciel et l’eau agitée, soulignant le thème favori de Watson, à savoir la puissance et la majesté de la nature. Ce thème est accentué de façon touchante par la petite taille de l’homme et des vaches dans la tourmente du reste de l’image.
La scène — le dernier traitement important de Watson sur le thème du moulin — représente un homme qui relâche la pression sur un barrage en ouvrant la porte d’écluse pendant un orage. Cette action préserve à la fois le barrage et le réservoir. Une nièce de l’artiste affirme que les origines du tableau remontent à l’enfance de Watson, alors qu’il a été témoin des conséquences catastrophiques de la rupture d’un barrage.
Les critiques de l’époque et ultérieurement considèrent Porte d’écluse comme un point culminant dans l’évolution du style de Watson; l’artiste lui-même l’a décrite en 1908 comme son meilleur tableau jusqu’à présent. À cette date, il l’a exposée au Royal Glasgow Institute of the Fine Arts, à l’Exposition nationale canadienne à Toronto (1903), à la Louisiana Purchase Exhibition à Saint-Louis (1904) — où la peinture remporte une médaille de bronze – et à l’exposition annuelle de l’Académie royale des arts du Canada (ARC) (1908). A. Y. Jackson (1882-1974) aurait dit à Watson que la toile avait sa place au Louvre, et Arthur Lismer (1885-1969), membre du Groupe des Sept comme Jackson, aurait, dans les années 1930, qualifié l’œuvre de tableau de « grand maître » : la plus belle représentation d’un paysage rural au Canada.
Watson conçoit Porte d’écluse en relation avec le tableau nettement différent The Lock (L’écluse) 1824, de John Constable (1776-1837), bien qu’il ait plus probablement vu la gravure en manière noire de cette œuvre par David Lucas en 1834 plutôt que la toile elle-même. Les différences entre Porte d’écluse et L’écluse sont intentionnelles, elles sont le reflet de la méfiance de Watson d’être considéré comme un simple disciple ou, pire, un imitateur de l’artiste mieux connu :
J’ai dit : « Zut, je vais peindre un sujet que Constable aurait été ravi de peindre », et c’est le réservoir de mon grand-père. …. Juste pour m’amuser un peu, d’une certaine manière, pour m’avoir étiqueté disciple de Constable. J’ai pensé, ça m’est égal, car je sentais, dans ma tête, que j’avais besoin de ne suivre aucun homme.
Quoi qu’il en soit, un critique de l’exposition de 1908 de l’ARC a vu une ressemblance suffisante entre l’art de Constable et Porte d’écluse pour décrire le tableau de Watson comme étant « un imitateur de l’école de Constable. »
Malgré sa solide réputation, Porte d’écluse a une histoire mouvementée. Eric Brown (1877-1939) de la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa rapporte que, lors d’une tournée américaine en 1919, le poids de la peinture épaisse a arraché la toile de son châssis, ce qui a entraîné d’importantes craquelures de la peinture. Quelques années auparavant, l’œuvre que possédait encore Watson a été acquise par le collectionneur et banquier montréalais J. Reid Wilson, qui découvre alors que l’éclairage de sa maison n’est pas assez fort pour mettre en valeur la toile sombre. Wilson la prête au Club Mont-Royal de Montréal, mais l’éclairage n’étant guère mieux, il échange Porte d’écluse contre un autre tableau de Watson aux couleurs plus vives. L’œuvre est encore sur le marché en 1908 lorsque la Galerie nationale du Canada refuse de l’acheter, à la grande indignation du critique Newton MacTavish : « Je… n’arrive pas à imaginer ce qui s’est passé avec les commissaires pour qu’ils n’aient pas su l’apprécier à sa juste valeur. » Porte d’écluse est finalement acquise par la Galerie nationale du Canada en 1925.