Vers le feu 1983
La série Swimmers (Figures nageant) de Betty Goodwin, 1982-1988, dont cette œuvre est tirée, marque une transition importante entre une phase de production d’installations et la création de dessins grand format, qui devient son principal moyen d’expression au cours des décennies qui suivent. Dans cette image, et d’ailleurs dans toute cette série, la figure est suspendue, flottant dans un espace indéterminé. Absente de la plupart de ses œuvres depuis la fin des années 1960, la figure réapparaît ici grandeur nature. Le titre et la disposition du corps dans cette œuvre anticipent le plus grand des dessins qu’elle exécutera directement sur les murs deux ans plus tard dans le cadre de l’exposition de 1985 Aurora Borealis qui présente des installations d’artistes de partout au Canada.
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Betty Goodwin, Untitled No. 1 (Sans titre no 1) de la série Swimmers (Figures nageant), 1982
Pastel à l’huile, peinture à l’huile, fusain et mine de plomb sur sept feuilles superposées, 308,5 x 430,5 cmMusée des beaux-arts de Montréal
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Betty Goodwin, Untitled No. 2 (Sans titre no 2) de la série Swimmers (Figures nageant), 1982
Pastel à l’huile, peinture à l’huile, fusain et mine de plomb sur six feuilles superposées, 294 x 324 cmMusée des beaux-arts de Montréal
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Betty Goodwin, Swimmer No. 3 (Nageur no 3), 1983
Mine de plomb, pastel sec, pastel à l’huile et peinture à l’huile diluée sur papier vélin, 296 x 108,5 cm maximum irrégulier (panneau gauche), 297,5 x 108,5 cm maximum irrégulier (panneau droit)Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
Le sujet de l’œuvre de Goodwin est inspiré par un incident inoubliable survenu quelques années auparavant avec son mari Martin, au cours duquel il a failli se noyer. Cependant, cette série d’œuvres sur les figures qui nagent va au-delà de ce souvenir personnel chargé d’émotion pour incarner une condition existentielle de lutte pour la survie ainsi que la fragilité et le caractère éphémère de la vie. En répétant ou en revisitant souvent les lignes, comme elle le fait dans nombre de ses dessins de figures nageant, Goodwin renforce la sensation de corps luttant pour rester à flot dans l’eau qui les engloutit. « Je vois les figures qui nagent dans un environnement aquatique où, par nécessité, il faut chercher de l’air et essayer de respirer, observe Goodwin. [Les figures] sont dans un état où elles s’étoufferaient probablement si elles ne trouvaient pas d’air. En d’autres termes, elles cherchent un endroit où respirer, remontent et essaient de sortir de l’eau. »
L’échelle ambitieuse et la transparence atteintes par Goodwin dans ces œuvres témoignent des techniques originales qu’elle a élaborées par essais et erreurs. Dans un premier temps, elle trempe du papier dans de l’essence de térébenthine pour le transformer en un champ aqueux s’approchant de l’effet de l’eau qu’elle recherche, mais ce processus l’expose à des émanations nocives. Après des recherches approfondies, elle identifie des matériaux synthétiques translucides qui produisent un effet similaire. Les dessins de figures nageant sont composés sur plusieurs longueurs de feuilles accolées pour obtenir le format recherché par Goodwin. Alors qu’elle continue de se concentrer sur ses dessins au cours de la décennie suivante, les ajustements spontanés sont exemplaires de la méthode de Goodwin, qui avance et recule, laissant les marques qu’elle fait déterminer ses prochains mouvements.
Le renouement de Goodwin avec la figure dans ces œuvres majeures coïncide avec un changement qui s’opère dans le monde de l’art au sens large. Les peintres des États-Unis Julian Schnabel (né en 1951), Eric Fischl (né en 1948) et David Salle (né en 1952), ainsi que l’Italien Francesco Clemente (né en 1952) et l’Allemand Jörg Immendorf (1945-2007) ne sont que quelques-uns des acteurs d’une tendance à la figuration, dominée par les hommes au début des années 1980, qui englobe une grande variété de sujets et d’approches souvent regroupés sous le terme de néo-expressionnisme. Chez Goodwin, son recours systématique au corps comme véhicule expressif est en harmonie avec ce climat artistique, mais son travail diffère considérablement de celui de ses contemporains, dont elle ne possède ni l’audace caractéristique ni les impulsions narratives qu’ils déploient dans leur imagerie figurative.
Plus grandes que tous les dessins qu’elle a réalisés jusqu’ici, les œuvres de la série sur les figures nageant sont accueillies avec enthousiasme. Lorsqu’elles sont exposées à la fin de 1983 à New York, à la galerie 49th Parallel, le critique Donald Kuspit écrit dans Art in America : « Goodwin rend insupportables, voire nouvellement difficiles, à la fois la subjectivité de l’image et l’objectivité du matériau. Elle crée une ambiguïté éloquente dans la relation entre moyens matériels et vision artistique. » Les œuvres de figures nageant ouvrent la voie à d’autres expérimentations de matériaux, le dessin devenant le principal moyen d’expression de Goodwin au cours des décennies subséquentes.