Carbone 1986
Cette pièce est l’exemple le plus audacieux du travail de Goodwin qui propose un rendu sombre et opaque du corps contrastant avec la transparence des œuvres de la série de figures nageant et annonce l’attention croissante de Betty Goodwin pour l’inhumanité intraitable qu’elle observe dans le monde. Elle poursuit sa pratique du dessin tout en développant des projets de plus grande envergure. À la fin des années 1970, elle réalise de nombreuses œuvres représentant des passages, un thème qui se matérialise dans les trajectoires physiques de ses installations. Et, comme pour les petits rendus de figures nageant qui précèdent sa célèbre grande série Swimmers (Figures nageant), 1982-1988, elle conçoit et retravaille sans relâche sa manière d’approcher les sujets et les formes qui la préoccupent. Comme souvent lorsqu’elle s’engage dans une série, elle réalise de nombreuses œuvres intitulées Carbone.
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Betty Goodwin, Carbon (Carbone), 1986
Poudre de fusain, cire, pastel à l’huile, pastel, mine de plomb, huile et gesso sur aluminium galvanisé alvéolé, 275 x 975,6 cmMusée des beaux-arts de Montréal
L’image ci-dessus est une vue d’installation de Carbon (Carbone), à droite, en face de Soundsuit (Combinaison acoustique), 2014, de Nick Cave, à gauche, et de Incertitudes 1 et 2, 2013, de Ying Gao, au centre, dans l’exposition « Combien de temps faut-il pour qu’une voix atteigne l’autre? » au Musée des beaux-arts de Montréal, du 11 septembre 2021 au 13 février 2022.
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Betty Goodwin, Carbon (Carbone), 1986
Poudre de fusain, cire, pastel à l’huile, pastel, mine de plomb, huile et gesso sur aluminium galvanisé alvéolé, 275 x 975,6 cmMusée des beaux-arts de Montréal
Alors qu’elle prépare cette œuvre, Goodwin note dans son carnet les mots « suie, cendres, odeurs de carbone », jouxtant des dessins rudimentaires de figures noircies. L’anéantissement du corps, de vies humaines, est omniprésent dans cette œuvre, dans laquelle des corps grandeur nature semblent épouvantablement brûlés ou incinérés, et sont entremêlés avec des figures plus fragiles, spectrales. Elles tendent les bras et se cramponnent les unes aux autres, se plient et se soutiennent mutuellement comme dans une danse macabre. Les têtes et les visages sont absents ou sommairement évoqués, les corps devenant la force collective expressive de ce tableau. La solennité des œuvres de la série Carbon (Carbone) renvoie à plusieurs autres séries de dessins réalisées durant cette période, dans lesquelles des figures anonymes paraissent retenues et opprimées par des actes inhumains.
Goodwin crée Carbone en vue de sa première exposition à la Galerie René Blouin, qui coïncide avec l’inauguration de la galerie en septembre 1986. Cette œuvre en plusieurs parties occupe le mur le plus long de l’espace, constituant une seule composition dessinée en plusieurs panneaux. Pour l’exposition, l’artiste dessine également des figures pâles directement sur une colonne au milieu de la pièce, faisant de cet élément architectural le point d’appui subtil de son installation. Sur un mur adjacent, elle dispose un dessin non encadré, tout aussi éthéré, représentant une figure. Ensemble, ces œuvres forment un accompagnement en contrepoint au drame sombre de l’œuvre principale.
Quelques années plus tard, Goodwin discute de la relation entre la série Figures nageant, 1982-1988, et les œuvres de la série Carbone, 1986, exprimant son désir croissant de passer de la transparence visuelle à une sensation de densité et de lourdeur qui deviendra caractéristique des dessins plus tardifs. L’artiste est de plus en plus sensible à la prolifération d’images représentant des atrocités qui circulent dans les médias. Ses dessins subséquents expriment les thèmes de la torture et de l’interrogatoire, une thématique qui la préoccupe à l’heure où elle assimile les rapports sur l’oppression politique généralisée dans le monde.