À Berlin : un triptyque, le début de la quatrième partie 1982-1983
Cette œuvre aux dimensions ambitieuses est réalisée pour O Kanada, un projet majeur célébrant l’art canadien organisé par l’Akademie der Künste de Berlin en 1982. L’exposition et son catalogue comportent des sections sur l’art historique canadien, l’architecture, l’art vidéo, la danse contemporaine et la performance. Avec deux autres artistes, John Massey (né en 1950) et Max Dean (né en 1949), Betty Goodwin est choisie par Pierre Théberge, alors conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Montréal. Les trois artistes occupent une salle dévoilant leurs nouvelles installations ambitieuses. Ce choix de représenter la scène contemporaine canadienne par seulement trois artistes était alors controversé.
L’œuvre de Goodwin, sa plus grande et plus imposante installation sculpturale autoportée, consiste en une série de couloirs surélevés et de structures ouvertes ressemblant à des ponts, accompagnés d’un grand mégaphone. Il s’agit d’une passerelle virtuelle, d’une série de chemins possibles qui, ensemble, symbolisent la communication ainsi que sa rupture. Les passages – qui sont désormais un motif récurrent dans son travail – sont surélevés sur des pieds en acier, créant une trajectoire brisée à travers l’espace à différents niveaux au-dessus du sol de la galerie. En effet, alors que le thème du passage est visuellement évoqué, l’ensemble demeure physiquement inaccessible. Les murs en papier et en contreplaqué des sections fermées sont habilement travaillés à la mine de plomb et au bâton à l’huile, rappelant le traitement pictural des surfaces que réalise Goodwin dans d’autres installations, notamment, Passage in a Red Field (Passage dans un champ rouge), 1980, créée au Musée des beaux-arts du Canada deux ans plus tôt. Le mégaphone, qui apparaît dans ses dessins avant et après ce projet, joue un rôle spectaculaire dans la mise en scène, en projetant à partir d’une boîte sombre sur une structure en forme de table.
Goodwin commente plus tard : « Le mégaphone est un symbole très clair : c’est un appel. Vous pouvez l’utiliser pour amplifier votre voix, pour appeler au secours. La façon dont je l’utilise évoque, je l’espère, des messages de détresse, des appels d’aide, ou des exhortations à la prudence, à une prise de conscience des menaces qui nous entourent constamment dans ce monde terrible qui est le nôtre. » L’un des côtés du mégaphone est ouvert pour révéler une petite oreille en plâtre posée sur la table, comme si elle était perdue dans le drame qui se déroule autour d’elle. La réflexion de Goodwin sur l’élément du mégaphone témoigne de sa préoccupation croissante pour les dangers liés à l’échec des efforts de communication dans un monde précaire, si ce n’est l’inhumanité qui en résulte et que ses dessins, au cours de la décennie suivante, manifesteront.
De manière significative, cet ensemble, qui est réinstallé un an plus tard au Musée des beaux-arts de Montréal, est présenté avec certaines des grandes œuvres de la série Swimmers (Figures nageant), de l’artiste, qui marque un changement important dans son évolution vers le dessin. Dans le plan original de Goodwin, les structures de passage devaient atteindre le mur où se trouvaient les dessins de figures qui nagent, oscillant entre flotter et se noyer. On ne peut que spéculer sur l’effet que Goodwin aurait pu obtenir si l’œuvre avait été ainsi achevée, avec les dessins comme finalité. De manière caractéristique, dans le projet Berlin, elle rassemble plusieurs couches de développements conceptuels et thématiques qui sont récurrents dans son travail des années précédentes, notamment l’attention sensuelle portée aux détails de la surface, le mégaphone comme symbole de communication urgente, et les structures de passage réalisées dans plusieurs matériaux et selon différentes configurations telles des métaphores du temps, de la transition et des états d’être. À Berlin : un triptyque, le début de la quatrième partie marque l’apogée de son traitement des passages.