Le nuage v.1942
Dans une toile dans laquelle il fait preuve d’une grande assurance, Brooker permet à un énorme nuage blanc de s’attarder au milieu d’un paysage relativement calme. Mais la réalité n’est pas totalement ce qu’elle semble être au premier regard. Le nuage divise l’image en deux, et sa brillante intensité interrompt les verts et les bleus au-dessus et en-dessous. Sans ce nuage, la scène bucolique soigneusement modulée serait trop banale pour Brooker. Le nuage représente une sorte d’imposition mystérieuse et divine dans le monde de l’humanité, et c’est exactement ce point que Brooker veut soulever : il existe un autre domaine du réel (ou « conscience cosmique ») que la majorité de gens sont incapables de voir.
Ici, Brooker, qui travaille assurément à la manière de Lawren Harris (1885-1970) au début des années 1930, produit un paysage naturaliste particulièrement convaincant. Par contre, il y a une importante distinction entre ce paysage et ceux des membres du Groupe des Sept, ou même Le Saint-Laurent, 1931, que Brooker a réalisé antérieurement. Ce n’est pas un paysage sauvage. C’est une représentation pastorale d’une terre agricole habitée. On peut même avancer l’argument que Le Saint-Laurent est une parodie de Harris. Le nuage est en revanche une peinture de paysage qui adopte des idées liées à la vie domestique et donc qui rejette la notion que la nature sauvage du Nord représente le nationalisme canadien. Ainsi, cette toile s’inscrit dans les visées plus vastes du Groupe des peintres canadiens : sensibiliser davantage le public en ce qui a trait à l’art créé au Canada en incarnant des idées de progrès social.
Le nuage présente une ressemblance frappante avec Black Mesa Landscape, New Mexico / Out Back of Marie’s II (Paysage de Black Mesa, Nouveau-Mexique/Depuis la cour de chez Marie – II), 1930, de Georgia O’Keeffe (1887-1986), mais en 1934, Brooker affirme qu’il n’a pas été influencé par l’artiste américaine.