Homme violent envers sa conjointe 2002
Si Annie Pootoogook représente les facettes agréables de la vie communautaire, elle se fait également connaître pour son interprétation du côté obscur de la vie contemporaine. Elle livre notamment des images percutantes de la violence domestique. Homme violent envers sa conjointe témoigne d’un souvenir personnel d’Annie, de son parcours troublant au début des années 1990. Au Nunavik, dans le Nord du Québec, elle est confrontée à une relation abusive. Annie documente un incident précis dans cette œuvre. Son conjoint l’a enfermée dans une maison qu’il a ensuite condamnée, comme en fait foi le contreplaqué cloué à la fenêtre au centre de la composition. Le dessin dépeint l’espace intérieur de la maison, austère et sans prétention, avec une figure masculine tenant ce qui semble être un bout de bois et qui s’apprête à frapper la figure féminine, criant (comme le montre les quatre lignes ondulantes qui sortent de sa bouche), sans défense, alors qu’elle se recroqueville sur un matelas.
Au début, Annie n’admet pas qu’il s’agit du dessin d’un souvenir personnel et elle réfère souvent à son sujet comme étant une personne dont elle a entendu parler. Mais avec le temps, elle partage la réalité de cet horrible incident. Elle parle de sa propre expérience : « Elle [ma soeur] m’a dit de sortir de cette maison avant qu’il ne me blesse grièvement. Alors, ma soeur était en état de choc parce que je devenais folle. Et je n’étais plus normale. Mais j’ai dû porter des accusations contre lui à cause de ce qu’il m’a fait dans cette maison, j’ai dû porter des accusations parce qu’il a utilisé trop d’armes contre moi et ma vie était perdue ». Sans pathos et direct, le dessin est d’une exécution glaciale qui rappelle froidement la réalité de la violence domestique, commise à l’abri du regard, dans un petit intérieur aux portes et aux fenêtres condamnées par des planches.
Annie représente souvent des événements de sa vie et du quotidien de sa communauté de Kinngait, dans des œuvres qu’elle tire de sa mémoire, notamment In the Summer Camp Tent (Sous la tente du camp d’été), 2002. Son récit, presque toujours personnel, ne se limite pas à l’observation et à la reproduction de détails avec stricte exactitude, mais s’inspire aussi de son état émotionnel et psychologique. Comme le fait remarquer l’écrivain John Quin, il existe un terme inuktitut, sulijuk, qui signifie « cela est vrai ». Les dessins d’Annie révèlent certaines vérités sur sa vie. Son Kinngait n’est pas la terre mythique et heureuse de l’innocence pré-moderne — un stéréotype révélant de l’ignorance et souvent attribué pour atténuer les complexités de l’esthétique, de la philosophie et de l’art inuits. À propos de ces dessins, Jimmy Manning remarque que « l’œuvre d’Annie est très différente. Le travail d’Annie est comme aujourd’hui et hier… les événements quotidiens, le magasinage, la musique, la fête. Elle extrait parfois de son cœur des sentiments très blessants qu’elle n’a pas peur d’exprimer sur la feuille ». Ce dessin est une œuvre d’art arrachée à un souvenir intime.