Composition [Esprit maléfique] 2003-2004
Composition [Esprit maléfique] est une œuvre importante au sein d’une collection de dessins dépeignant la détresse ou l’exaltation émotionnelle, des sujets qu’Annie Pootoogook aborde sporadiquement tout au long de sa courte carrière. Très discrète, Annie parle rarement de son travail en détail et il lui est particulièrement difficile d’élaborer sur ce dessin. Elle n’explique jamais à quoi la scène réfère exactement et ne précise pas davantage s’il s’agit d’un autoportrait. Dans ce dessin, une figure centrale est positionnée sur les mains et les genoux, au sol, la langue sortie de la bouche. Les yeux de cette jeune femme sont fermés et une larme glisse du coin de son œil, le long de sa joue. Une créature monstrueuse s’accroupit devant elle, les jambes bien écartées. Elle est tracée par des lignes noires, la tête trouée d’yeux rouges et couronnée de cornes semblables à celles d’un taureau. D’une main aux griffes noires, la créature saisit la gorge de la femme dans ce qui semble être un geste d’étouffement, tandis que de son autre main, elle lui caresse les cheveux. La femme présente elle-même des ongles peints en noir. Elle est agenouillée auprès de la créature et toutes deux sont cernées d’une ligne sinueuse noire et épaisse qui équilibre la composition. Son extrémité est attachée à l’une des cornes de la créature, laquelle présente un trait noir et épais en guise de langue difforme qui descend de sa bouche et coule le long de la langue de la femme jusque dans sa gorge. Une troisième ligne noire, lourde et tendue comme un phallus courbé, sort de ce qui semble être l’ouverture anale de la créature et traverse les bras de la femme en direction de son cœur. Une fissure noire en dents de scie traverse les genoux de la femme.
Une bulle de pensée flotte bien en évidence au-dessus de la femme. Selon Juumi Tapaungai, gestionnaire adjoint des Ateliers Kinngait, la bulle contient le terme taqapaa en syllabaire inuktitut, qui signifie « épuisé » ou « stressé ». De cette bulle de pensée rayonnent des lignes noires courbes, se terminant par de petits cercles noirs hérissés. L’horrible créature est elle aussi surplombée d’une bulle de pensée en dents de scie avec le terme piapiga en syllabaire inuktitut suivi d’un point d’exclamation, ce qui signifie « à moi! ». Tapaungai ajoute : « Je pense que le mal tente de s’emparer de sa vie. »
Ce « dessin psychologique » parmi d’autres témoigne des conflits internes d’Annie avec ses émotions et sa santé mentale. Dans nombre d’œuvres construites comme Composition [Esprit maléfique], elle représente des émotions profondemment personnelles. En général, on y voit une figure ou une scène centrale qui rayonne, par une série de traits ou de points, ou qui est entourée d’une ligne noire sinueuse incrustée de points jaunes, noirs ou rouges qui symbolisent le bonheur et la tristesse. Annie expérimente avec cette légende de points, de lignes et même d’étoiles dans des compositions telles que Gossip (Commérages) et Composition [Sadness and Relief for my Brother] (Composition [Tristesse et soulagement pour mon frère]), toutes deux de 2006. Annie se libère grâce à son art : « Il semble que je me sois débarrassée de cette merde et que je me sois mise à dessiner. Eh bien, le dessin me fait me sentir mieux […] beaucoup mieux qu’avant ».