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Nature morte dite « au mannequin » 1898

Ozias Leduc, Nature morte dite « au mannequin », 1898

Ozias Leduc, Nature morte dite « au mannequin », 1898
Huile sur carton, 28 x 24 cm
Musée des beaux-arts de Montréal

Un bout de table est placé devant une fenêtre couverte d’un rideau blanc qui laisse filtrer une riche couleur nacrée. S’y s’empilent livres, revues, coupe-papier, carnet de dessin, feuilles d’études, un miroir circulaire, un mannequin et un bas-relief représentant un homme au corps émacié, enveloppé dans un drapé bleu placé sur fond rouge. L’atmosphère de travail donne à voir un certain chaos dans l’empilement des différents papiers superposés et enchevêtrés. Les feuilles, images dans l’image, dont certaines sont opaques, d’autres transparentes, se chevauchent et laissent voir des études préparatoires pour le décor de l’église de Saint-Hilaire dont une page tirée d’un carnet de croquis.

 

Attribué à Caspar Bernhard Hardy, Philosophe à l’agonie, v.1778-1780, cire polychrome et peinture brune sur verre peint, 23,7 × 27 × 5 cm, Philadelphia Museum of Art. Leduc possédait une réplique de ce buste en cire que lui avait léguée son professeur Luigi Capello.
Ozias Leduc, Étude de jeune fille (profil) et de deux mains, 1897, mine de plomb sur papier vélin, 13,3 x 17,8 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec. Leduc a rapporté de Paris un carnet de croquis dans lequel on trouve quelques dessins, dont celui-ci, qui inspireront le décor de l’église de Saint-Hilaire.

Au centre, comme dans un condensé de cet environnement créatif, se reflètent dans le miroir des fragments du décor, dont certains éléments ne figurent d’ailleurs pas dans le tableau. Le mannequin articulé dont Leduc se sert pour étudier les poses, à défaut de modèle vivant, est associé à ce qui semble être le détail d’un tableau montrant deux personnages recueillis dans un moment de prière. La figure du mannequin, un bras écarté et l’autre replié sur la poitrine, exécute un geste de déférence. Les motifs iconographiques tissent ainsi un réseau de formes et de significations dont le sens est toujours à redéfinir.

 

La réalisation de natures mortes est non seulement pour Leduc l’occasion de réfléchir sur la nature et la signification des éléments à réunir, mais elle est aussi une étape dans la  manière de considérer l’espace et les liens qui s’établissent entre les objets. À cet égard, la lumière joue un rôle essentiel dans la perception des intervalles qui séparent ou unissent les matières, leur forme et leur texture.

 

Cette œuvre constitue une sorte de manifeste, la traduction d’un programme, dans la mesure où le peintre inscrit sur le pourtour du tableau, dans la partie qui est cachée par la feuillure du cadre, non seulement le lieu et la date de réalisation de cette huile sur carton, mais également son credo, à savoir que le dessin, la couleur et la composition constituent l’alpha et oméga du peintre, les fondements de son art. L’inscription se lit comme suit : OZIAS LEDUC A PEINT CE TABLEAU en FÉVRIER et MARS 1898 à St HENRI de MONTREAL / DESSIN // COULEUR // COMPOSITION // LA // TRINITÉ // DU // PEINTRE. En choisissant une métaphore théologique pour qualifier les bases de la peinture, Leduc affirme que ces trois composantes sont à la fois distinctes et unies dans un seul art. À son retour de Paris, l’artiste semble vouloir faire le point sur son art.

 

L’autre partie de l’inscription est également précieuse dans la mesure où elle permet de savoir que Leduc passe une partie de l’hiver 1898 à Montréal. Sans doute que l’atelier de Saint-Hilaire n’offre pas les conditions de température pour permettre à l’artiste d’y travailler. Depuis son retour de France, à la toute fin de décembre 1897, il est à concevoir le décor de l’église de Saint-Hilaire. Leduc partage alors le logement de sa cousine et future épouse, Marie-Louise Lebrun Capello (1859-1939), qui habite au 1049, rue Saint-Jacques.

 

L’œuvre porte encore au dos un fragment d’étiquette qui indique qu’elle a été exposée au Salon du printemps de l’Art Association of Montreal (AAM) en 1898 et qu’elle était alors évaluée à la modeste somme de quarante dollars (1 200 $ au cours actuel). On ignore à quel moment elle devient la propriété de l’homme d’affaires Oscar Dufresne qui n’avait que vingt-trois ans au moment de l’exposition. Celui-ci la lègue à son frère Marius à son décès en 1936. Acquis avec les biens du Château Dufresne par l’industriel et philanthrope David M. Stewart, le tableau est cédé au Musée des beaux-arts de Montréal en 1984.
 

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