Illustration pour « The Californian’s Tale » 1947
Oscar Cahén est convaincu que l’illustration peut et doit développer la sensibilité esthétique du public et qu’elle est tout à fait apte à rendre « ces émotions fondamentales qu’exprime une œuvre d’art de qualité ». L’expressionnisme allemand, qu’il a fort bien connu en Europe, et l’art gothique dont il collectionne des reproductions, ont inspiré les distorsions des personnages qui illustrent la nouvelle de Mark Twain, dont le protagoniste est un vieux mineur au cœur brisé et à l’esprit en cavale. Dessinés par empâtements de gouache aux contours épais, les hommes jouent une scène qui n’est pas sans rappeler les descentes de croix de l’iconographie gothique et leur Christ cadavérique au regard creux. Les membres décharnés ainsi que les mains et les pieds anguleux des personnages de Twain rappellent deux peintures de Cahén maintenant perdues, dont l’une représente une victime du camp de concentration de Belsen et l’autre, une femme noyée, mais aussi ses représentations du Christ et l’Homme en prière, de 1947.
New Liberty, que des éditeurs canadiens viennent tout juste d’acquérir et de détacher de son éditeur américain initial, a l’habitude de commander ce genre d’illustrations franchement outrancières par rapport à celles des concurrents, sans doute parce qu’elles assurent au périodique une identité propre. La publication de L’histoire du Californien et d’autres illustrations de Cahén provoque un concert de plaintes. « Enfermez-vous votre illustrateur dans une cellule capitonnée? Quel homme le moindrement doué de sens pourrait imaginer des moyens aussi répugnants et hideux de représenter un être humain? », raille un lecteur. Les collègues de Cahén, en revanche, font bon accueil à L’histoire du Californien, qui sera également plébiscitée par les membres de l’Art Directors Club de Toronto pour l’exposition annuelle de l’association en 1949.
Les images troublantes que Cahén propose à New Liberty marquent un tournant important dans le monde de l’illustration au Canada : en effet, les Canadiens commencent à s’affranchir des normes édulcorantes en vigueur aux États-Unis. À l’instar d’autres œuvres expressionnistes, comme Homme en prière, 1947, elles conduisent son ami James Imlach, désormais installé aux États-Unis, à dire en 1948 : « Vous [Cahén, Harold Town et Walter Yarwood] pourriez lancer au Canada une école artistique dynamique, libérée des rendus réalistes et sclérosés issus de l’influence britannique sur ses colonies. »