Oscar Cahén (1916-1956) arrive au Québec en 1940 à son corps défendant, comme réfugié chassé d’Europe. Pourtant, en quelques années seulement, cet artiste énergique aux émotions complexes aura donné beaucoup d’envergure à l’illustration et à la peinture au Canada. Quand il meurt subitement, en 1956, il figure parmi les illustrateurs les plus réputés au pays. Il aura eu par ailleurs une influence sensible sur d’autres peintres abstraits, avec lesquels il formera le célèbre groupe des Painters Eleven.
Enfant de plusieurs nations
Une photographie montre Oscar Maximilian Cahén tout sourire, en compagnie de deux autres adolescents non identifiés, au palais Zwinger, à Dresde, en Allemagne. Il faussera sa date de naissance pour être admis à l’Académie nationale des arts appliqués de cette ville en mars 1932, dès l’âge de 16 ans. La photo déchirée porte les marques des bouleversements à venir : le déferlement nazi qui forcera sa famille à fuir l’Allemagne, la séparation d’avec ses parents et l’arrivée au Canada comme réfugié interné.
Fils de Fritz Max et d’Eugenie Cahén, Oscar naît le 8 février 1916 à Copenhague. Son père est d’abord professeur d’histoire de l’art, puis correspondant vedette du journal allemand Frankfurter Zeitung dans la capitale danoise. Traducteur d’Apollinaire pour le périodique expressionniste Der Sturm, Fritz Max Cahén se fait également connaître comme critique d’art. Espion pendant la Première Guerre mondiale, il est aussi, en 1916, secrétaire et confident du comte Brockdorff-Rantzau, qui représentera l’Allemagne aux négociations du Traité de Versailles.
De 1920 à 1932, les missions journalistiques du père mènent la famille à Berlin, à Paris et à Rome. Adolescent, Oscar suit des cours d’art dans ces deux dernières villes, mais nous n’en savons actuellement rien de plus. À Dresde, il reçoit une formation en illustration et en dessin publicitaire au studio-école de Max Frey (1874-1944). À l’époque, beaucoup considèrent la publicité et l’illustration populaire comme l’art des temps modernes. Quant à l’affiche, c’est l’art du peuple, puisqu’elle décore les espaces extérieurs et stimule la capacité d’appréciation esthétique du public.
Fuite
En 1930, Cahén père, d’allégeance sociale-démocrate, est attaqué alors qu’il tente de s’adresser à la foule pendant une assemblée nazie. Deux ans plus tard, il se joint à un réseau clandestin anti-Hitler. Comme il est de sang juif, la famille perd la citoyenneté allemande en 1933 quand les nazis prennent le pouvoir.
Le 3 août 1933, la famille fuit Dresde, poursuivie par 40 membres des sections d’assaut nazies. Oscar est dans un tel état nerveux que son père craint de voir éventé le projet familial : passer la frontière tchèque. En mai 1934, les Cahén sont à Stockholm, où Oscar poursuit sa formation artistique. Il organise à Copenhague une exposition de ses œuvres, et les critiques sont favorables à son « art publicitaire raffiné ».
Les Cahén retournent à Prague en mars 1935; Fritz Max y dirige un groupe de résistants et se remet à l’espionnage. Oscar améliore la situation financière délicate de la famille grâce à des commandes d’art publicitaire, des dessins érotiques et des caricatures, dont beaucoup sont des blagues contre Hitler. L’un de ces dessins, publiés dans Der Simpl, un magazine satirique créé par des réfugiés allemands, montre deux femmes à demi nues. L’une d’elles dit : « Mon mari est un ange. », ce à quoi l’autre répond : « Tu as de la chance… Le mien est encore vivant! »
William Pachner (né en 1915), illustrateur établi, met gracieusement une partie de son atelier à la disposition d’Oscar, appauvri, avec lequel il forme une sorte de partenariat avant de partir pour les États-Unis. Le jeune homme absorbe rapidement le style fluide de son collègue.
Le fils se joint au groupe du père, qu’il aide en passant illégalement en Allemagne pour des motifs inconnus, en plus de finaliser une vente d’armes négociée par Fritz Max. En 1937, la police tchèque interroge les Cahén au sujet d’un équipement illégal de radio à ondes courtes trouvé parmi les affaires d’Oscar (pour la diffusion de propagande antinazie) et perquisitionne l’appartement familial. Peu après, Fritz Max se rend aux États-Unis, dans le but annoncé de rédiger un article sur la démocratie américaine pour un journal tchèque. Eugenie et lui ne se reverront pas avant 20 ans.
Au milieu de l’année 1937, Oscar entre à l’école d’art publicitaire Rotter, à Prague, pour y enseigner et y travailler, comme au studio Rotter. Cette grande agence publicitaire fondée par Vilém Rotter (1903-1960), l’un des graphistes les plus progressistes d’Europe, sert de gros clients, notamment parmi les constructeurs automobiles. Le jeune homme doit malheureusement renoncer à cet emploi après quelques mois, puisque l’État interdit aux réfugiés de travailler. Il organise alors son émigration aux États-Unis.
C’est toutefois en Angleterre qu’Eugenie et lui se sauvent de justesse le 3 mars 1939, douze jours avant l’occupation de Prague par les nazis. De hauts fonctionnaires tchèques leur délivrent des passeports en souvenir des services rendus par Fritz Max et malgré quelques réticences dues à la participation d’Oscar aux radiodiffusions et au trafic d’armes.
Les années de guerre au Québec
Oscar ne peut pas davantage travailler en Grande-Bretagne, mais il continue de dessiner. En mai 1940, le gouvernement britannique décide de procéder à l’internement des réfugiés, craignant qu’il se trouve parmi eux des espions allemands. À 24 ans, Cahén embarque sur un bateau prison appelé Ettric en compagnie de plus de 2000 hommes, juifs allemands pour la plupart, officiellement considérés comme prisonniers de guerre et étrangers ennemis. Il arrive à Montréal le 13 juillet 1940. Restée en Grande-Bretagne, Eugenie y sera internée de mai 1940 à décembre 1941. Elle ne reverra pas son fils avant sept ans.
Parmi les affaires d’Oscar Cahén se trouve ce poème, écrit en allemand :
Je vis dans la crasse d’une usine vétuste…
J’ai une cour, une salle des machines,
Des gardes et des barbelés.
Nous sommes 700, à ne rien faire d’autre
Que regarder au-delà, en colère, et jurer.Nous sommes nourris, habillés chaudement
Pourtant jamais nous n’avons été aussi pauvres
Que sous leur regard méprisant.
Avant, qui plus est, nous étions libres.
La scène décrite se passe dans le camp N, à proximité de Sherbrooke, au Québec, où l’artiste est interné pendant deux ans. Plus tard, dans une illustration accompagnant une nouvelle, il en fera un camp nazi pour prisonniers de guerre, mais le vêtement au large cercle rouge permet de reconnaître le camp N. Les détenus, en effet, sont tenus de porter au dos cette cible rouge honnie. Certains dénoncent des violences de toutes sortes de la part des soldats canadiens, depuis un antisémitisme primaire jusqu’au viol. Pourtant, les autres « gars du camp » se souviennent de Cahén comme d’un homme enjoué, qui plaisante avec une ironie toute « berlinoise ». Ces deux facettes de sa personnalité, l’une sombre et tragique, l’autre badine et optimiste, se retrouveront ensuite dans son œuvre.
Beatrice Shapiro Fischer fait la connaissance d’Oscar Cahén au camp, où elle se rend à titre de membre de la rédaction du Magazine Digest pour y interviewer un détenu. Cahén soudoie les autres hommes avec quelques dessins pour les convaincre d’abandonner la file qui s’est formée pour la voir, raconte-t-elle. Coincés dans la guérite d’un garde, les yeux dans les yeux, sans même pouvoir s’asseoir pendant qu’elle pose ses questions, ils tombent amoureux l’un de l’autre. Cahén avait un « humour merveilleux », se souvient-elle, mais il était manifestement rongé par le stress. « C’était une présence fébrile, brillante et angoissée […]. Son visage était empreint de souffrance […] une souffrance qui ne l’a jamais quitté. »
En 1942, un membre du Central Committee for Interned Refugees, formé pour la défense des réfugiés internés, soumet des dessins de Cahén et d’autres détenus à de potentiels employeurs montréalais. Ayant commandé quelques banales scènes de chalet tout en précisant qu’« il s’agit d’un essai, sans plus », The Standard annonce bientôt à ses lecteurs : « [les illustrations d’Oscar Cahén] sont si exceptionnelles que nous lui avons envoyé certains des récits à paraître […] C’est un nom à retenir en dessin publicitaire, et c’est nous qui l’avons découvert! » Cahén restera fidèle au Standard jusqu’à sa mort. Et contrairement à ce que l’on a pu lire, les sujets qu’il est appelé à illustrer sont légers, amusants.
Entre-temps, Oscar et Beatrice continuent de s’écrire. Bientôt, celle-ci s’installe à Montréal pour tenter d’obtenir la libération des détenus. Impossible, toutefois, de sortir du camp sans avoir pour le moins un emploi. Beatrice trouve donc du travail pour elle-même puis pour Oscar auprès de l’entrepreneur Colin Gravenor, qui possède une société de relations publiques. Le jeune homme est libéré du camp N le 26 octobre 1942. Chez Gravenor, il collabore avec Beatrice, elle à titre d’auteure et lui, d’illustrateur.
En novembre 1943, Gravenor met ses relations à profit pour que Cahén participe à une prestigieuse exposition de l’Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal). Pour un artiste de la métropole, c’est le meilleur moyen de se faire connaître. Un critique écrit que Cahén « touche à de nombreux sujets, de nombreux styles et de nombreuses méthodes […]. Il y a de bons dessins […], d’habiles caricatures et des croquis suggestifs et bien faits de têtes et de personnages. Plus tôt cette même année, le jeune homme est entré à la succursale montréalaise de Rapid, Grip and Batten, où un salaire hebdomadaire de 90 $ en fait l’artiste le mieux payé de la firme ».
En 1943, de hauts fonctionnaires des États-Unis avisent Oscar que Fritz Max souffre d’une maladie mentale, que son état exige une « chimiothérapie » et qu’il risque la déportation en Europe, toujours sous la botte nazie. Sa mère est encore bloquée en Angleterre, où elle travaille dorénavant pour la BBC. Malgré ces traumatismes, la vie personnelle d’Oscar s’améliore.
Toronto et la stabilité
Il aime toujours Beatrice, mais en 1943, il rencontre et épouse Martha (Mimi) Levinsky, une jeune Polonaise qui a passé son enfance aux Pays-Bas. Hélas pour elle, ses parents orthodoxes — son père est rabbin — n’acceptent pas le mariage et la déshéritent. Michael, l’unique enfant du couple, voit le jour le 8 mai 1945. Surnommé affectueusement « Noodnik » ou parfois « le monstre », le garçon apparaîtra sur plusieurs couvertures de Maclean’s et d’autres magazines.
Vers la fin de 1944, Cahén s’installe à Toronto et devient directeur artistique du Magazine Digest. Il y inaugure l’ère des couvertures amusantes et des caricatures mais, dans un contraste extrême, y publie également deux essais illustrés d’images effarantes, l’un sur la pauvreté chez les autochtones et l’autre sur les jeunes orphelins d’Europe.
Cahén s’enracine peu à peu. En 1946, avec l’aide de ses voisins, il construit une maison et un atelier de style rustique à Fogwood Farm, près de King City (tout juste au nord de Toronto), où vivent déjà, avec leurs familles respectives, l’illustrateur Frank Fog (1915-date de décès inconnue) et le directeur artistique Bill Kettlewell (1914-1988). Cette même année, il obtient la citoyenneté canadienne, puis en juin 1947, sa mère arrive d’Angleterre. La stabilité de ses revenus de pigiste et le fait d’avoir enfin une maison lui permettent de quitter le Magazine Digest et de peindre à son compte. Le voilà libre de revenir sur les années d’exil et de guerre. Il « commence donc à se livrer à de grandes frénésies de peinture qui, s’il ne s’en libère pas, le tourmentent jusqu’à la dépression », peut-on lire dans un reportage du Standard.
Fritz Max, toujours en mauvaise santé, se voit d’abord dénier l’autorisation de venir au Canada, puis refuse d’y rejoindre sa femme et son fils. C’est peut-être ce qui inspire à Oscar les images de familles qui souffrent, endeuillées, et de corps profondément meurtris de coups sauvages. Ses peintures de cette époque ne sont connues que grâce à des photographies identifiées. On y voit entre autres une victime émaciée de l’Holocauste et une femme noyée. À la fin des années 1940, il produit également une série de peintures et de techniques mixtes sur des thèmes chrétiens, dont L’adoration, 1949, une œuvre franchement cubiste. C’est sa plus grande toile jusqu’alors.
En dépit de l’infinie tristesse qui l’habite, le charismatique Cahén reçoit chez lui chaque semaine d’été et il élargit volontiers son cercle social à des artistes modernistes, parmi lesquels Harold Town (1924-1990), Walter Trier (1890-1951), Albert Franck (1899-1973) et Walter Yarwood (1917-1996).
Prospérité et célébrité
Vers 1949, Oscar Cahén entreprend l’exploration de formes totalement abstraites et se constitue un vocabulaire personnel de croissants, de pointes et de formes ovoïdes, auxquelles il ajoute, vers 1952, des couleurs chaudes et saisissantes. Il s’essaye à la gravure et à la céramique. Il semble partager son temps également entre illustration et peinture, la première de ces activités lui procurant la stabilité financière et une position sociale qui lui permettent d’expérimenter tout son soûl quand il travaille pour lui-même.
Vers 1951, Cahén aurait refusé l’invitation d’une société newyorkaise qui lui offrait pourtant un salaire de 25 000 $ (le revenu moyen étant de 3216 $ aux États-Unis en 1950). Entre 1950 et 1957, des magazines canadiens publient au moins 300 de ses illustrations. Celle qu’il propose pour accompagner un texte intitulé « The Most Beautiful Girl I’ve Ever Known » (« La plus jolie fille que j’aie connue ») lui vaut en 1952 la médaille de l’illustration conceptuelle de l’Art Directors Club de Toronto. Ensuite, l’Art Directors Club de New York l’expose aux côtés d’œuvres proposées par Norman Rockwell (1894-1978), Al Parker (1906-1985) et d’autres sommités américaines. « Le métier d’illustrateur est souvent méprisé par le monde des beaux arts et c’est regrettable », affirme Cahén lors d’une entrevue publiée par le magazine Canadian Art. « L’illustration créative marie pourtant de subtiles valeurs artistiques à une interprétation littéraire et réaliste. »
L’artiste a désormais les moyens de s’offrir une voiture sport dans laquelle, à partir de 1952 environ, il emmène chaque hiver sa famille dans les villégiatures floridiennes près de Venice et de Naples, où nombre d’artistes américains exercent leur art. La recherche permettra peut-être un jour de préciser où il est allé, les rencontres qu’il a faites ou les œuvres qu’il a vues au cours de ces longs allers-retours. Il fait construire une belle maison dotée d’un grand atelier près d’Oakville, en Ontario, où il emménage en 1955. Le voici à des années-lumière des baraques de fortune du camp N où il a exécuté ses premières illustrations en sol canadien!
Certes, sur le plan créatif, l’illustration permet de toucher un vaste public et d’explorer des techniques et des idées que les galeries dédaignent pour leur manque de sérieux; en revanche, l’obligation de produire des images aisément compréhensibles exclut certains types d’expression créative. L’abstraction, au contraire, ouvre la voie à des modes qui ne sont pas littéraux, mais elle rebute de nombreux Canadiens, y compris des artistes. La difficulté d’élargir les horizons visuels du public canadien hante les artistes de l’avant-garde et les peintres modernes. En 1948, James Imlach (dates inconnues), un autre peintre expatrié ami de Cahén, de Walter Yarwood (1917-1996) et de Harold Town (1924-1990), écrit de New York, les pressant de « créer une école artistique véritablement progressiste au Canada pour montrer au monde que la liberté peut être un terreau fertile pour l’humanité ». En 1953, les trois parlent de monter une exposition consacrée exclusivement à la peinture abstraite, pour témoigner de leur « unité à l’égard d’une visée contemporaine ».
Coïncidence : quelques semaines plus tard, à Toronto, l’artiste William Ronald (1926-1998) convainc le magasin Simpson’s d’exposer dans son rayon de mobilier quelques œuvres abstraites qui font écho aux lignes épurées des meubles modernes d’après-guerre. Cahén soumet deux œuvres, intitulées L’arbre aux bonbons, 1952-1953, et Fleurs et oiseau, 1953. Selon Town, c’est pendant une séance de photographie de groupe à des fins publicitaires que Cahén présente l’idée d’une exposition collective. La rencontre qui suit débouche sur la formation du collectif Painters Eleven, dont ce sera précisément l’objectif. Les membres, qui resteront actifs jusqu’en 1960, sont : Jack Bush (1909-1997), Cahén, Hortense Gordon (1889-1961), Tom Hodgson (1924-2006), Alexandra Luke (1901-1967), Jock Macdonald (1897-1960), Ray Mead (1921-1998), Kazuo Nakamura (1926-2002), Ronald, Town et Yarwood.
Le groupe légitime l’art abstrait, incite de jeunes artistes à suivre la voie de l’avant-garde et amorce un dialogue entre l’art canadien et les tendances et critiques artistiques de l’art contemporain international.
Cahén propose dès lors des œuvres tantôt enjouées, lumineuses et lyriques, tantôt plus puissantes, sombres, voire agressives, à l’image des contrastes de sa vie. Sa popularité croissante l’encourage à créer : les documents concernant les expositions auxquelles il participe de 1953 à 1956 révèlent qu’il a pratiquement toujours des œuvres exposées quelque part et des illustrations publiées chaque mois.
En 1953, sa réputation est telle que la société Crosley lui demande une recommandation publicitaire pour ses téléviseurs. Sa toile intitulée Requiem, v. 1953 (actuellement introuvable) est exposée à la 2e Biennale de São Paulo, au Brésil, en 1953-1954. Mais malgré les succès qui s’additionnent, il demeure une part d’ombre : son père, Fritz Max Cahén, est resté aux États-Unis et Oscar dit avoir « perdu contact » avec lui. Sa femme, souffrant sans doute de sa propre histoire familiale, se révèle une partenaire difficile et l’artiste conserve son amour puissant mais secret pour son amie Beatrice Fischer, qu’il voit d’ailleurs souvent.
Pour sa première exposition individuelle, à la Hart House de l’Université de Toronto, le 16 octobre 1954, l’artiste présente surtout des œuvres abstraites, mais il apprécie toujours le figuratif. Ainsi, en 1956, il intègre un motif solaire dans une peinture murale commandée par la Compagnie Pétrolière Impériale, et il achève une grande toile intitulée Le guerrier, en 1956. Des contrastes frappants confèrent une grande puissance à Sans titre (616), une peinture abstraite à la fois joyeusement exubérante et sinistrement menaçante. Hélas, ces œuvres seront parmi les dernières. En 1956, un jour de fin d’automne, alors qu’il est au volant de sa nouvelle Studebaker Hawk, il fait une collision fatale avec un camion-benne. Il avait 40 ans.
Il existe une photographie portant une inscription de la main d’Eugenie, sa mère : « Mon fils chéri Oscar Cahén, peu avant sa mort le 26 novembre 1956. » Elle montre un Oscar très différent de l’adolescent souriant de Dresde vers 1930. L’adulte porte le poids des souvenirs des droits bafoués, de la fuite, de l’internement et de la renaissance dans un pays étrange. Il ne sourit pas. Debout devant son chevalet et de nombreux dessins, poings sur les hanches, il darde vers la lentille un regard assuré, voire défiant, pénétré du sérieux de son travail.
Après sa mort, Harold Town et Walter Yarwood organisent au Art Gallery of Toronto (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de l’Ontario) une exposition commémorative de son œuvre en mars 1959; d’autres rétrospectives suivront au fil des ans. Malheureusement, son héritage artistique subit les effets persistants des traumatismes de la guerre : Eugenie quitte le Canada pour rejoindre Fritz Max, rentré en Allemagne en 1954, et Mimi, souffrant de dépression, n’arrive pas à gérer seule la succession. La plupart des dessins et des peintures restent donc entreposés à l’insu de tous pendant près de 40 ans. Heureusement, en héritant de cette collection, le fils de Cahén, Michael, rend accessibles ses œuvres et de nombreux documents connexes, permettant ainsi aux spécialistes de réévaluer la contribution d’Oscar Cahén à l’art canadien.