Saumon sur Saran 1974

Saumon sur Saran, 1974, l’une des œuvres les plus connues de Mary Pratt, révèle toute la virtuosité de sa manière, devenue emblématique. La conviction avec laquelle elle rend la transparence de la pellicule de Saran Wrap en peinture relève du tour de force et démontre combien elle parvient à repousser les limites de sa maîtrise technique. L’artiste consacre deux ans à cette peinture, qui est une affirmation audacieuse de son savoir-faire en même temps qu’une démonstration de bravade picturale rappelant les artistes masculins de la tradition occidentale — au sein des concours de peinture de la Grèce antique racontés par Pline l’Ancien jusqu’aux Salons de Paris du dix-neuvième siècle. Pratt réussit à peindre l’impossible, en rendant une substance opaque (la peinture à l’huile), transparente (la cellophane).

Ce tableau est une invitation à une observation attentive, pour que le spectateur comprenne que les lignes peintes en gris et en blanc constituent bel et bien de la cellophane. Les tons froids de Saumon sur Saran ajoutent à son impact; on ressent presque la température du saumon, comme s’il venait de sortir du réfrigérateur. Pratt recrée méticuleusement les détails de la diapositive originale dans chaque pli de l’emballage plastique et du tissu sous-jacent. Même les taches de sang sur la pellicule de Saran Wrap, laissées par l’artiste peut-être après avoir nettoyé le poisson, sont rendues avec précision, établissant un lien astucieux et manifeste entre les gestes domestiques et artistiques.

Comme dans son œuvre de 1971, Eviscerated Chickens (Poulets éviscérés), Pratt choisit l’image prosaïque d’un animal tout juste nettoyé pour transmettre un puissant message sur la violence. Tom Smart écrit : « En attirant l’attention sur la cruauté bénigne au service du maintien de la vie, Saumon sur Saran est une déclaration déguisée sur toute violence dans la société, même celle qui se manifeste dans l’activité triviale d’éviscération d’un poisson. » Il y a toutefois peu d’activités insignifiantes dans le monde domestique et menaçant de Pratt. Smart décrit ce tableau comme une représentation du « meurtre rituel », et c’est ce sens du sacrifice qui imprègne une grande partie de l’œuvre mature de l’artiste.

La peintre s’est contrainte à terminer ce tableau constituant un important défi technique. « Cette peinture m’a coûté près de deux ans à finir », écrit-elle. « J’ai dû trouver un raccourci pour rendre la pellicule plastique et j’ai dû réfléchir jusqu’à quel point la ‘réalité’ m’intéressait vraiment. Il est très facile maintenant de discuter de ce processus, alors très compliqué à résoudre. »