Au crépuscule, Wychwood Park 1911

Au crépuscule, Wychwood Park

Mary Hiester Reid, At Twilight, Wychwood Park (Au crépuscule, Wychwood Park), 1911
Huile sur toile, 76,2 x 101,6 cm
Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Dans cette œuvre, Mary Hiester Reid représente Wychwood Park, le quartier où elle s’est installée en 1908 avec George Agnew Reid (1860-1947) et où ils ont vécu pour le reste de leur vie maritale. Peignant dans une palette de nuances nocturnes — brun foncé, vert et gris —, l’artiste témoigne de son profond engagement envers le tonalisme. Dans les années 1870, l’artiste américain James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) réalise une série de scènes au clair de lune qu’il intitule Nocturnes, les imprégnant d’associations musicales. Hiester Reid produit également une série de scènes de crépuscule et de nuit, telles que Moonrise (Lever de lune), 1898, Nightfall (Tombée de la nuit), v.1910, et Night in the Village [England] (Nuit au village [Angleterre]), v.1902-1910.

 

James Abbott McNeill Whistler, Nocturne in Black and Gold, The Falling Rocket (Nocturne en noir et or : la fusée qui retombe), 1875
James Abbott McNeill Whistler, Nocturne in Black and Gold, The Falling Rocket (Nocturne en noir et or : la fusée qui retombe), 1875, huile sur panneau, 60,3 x 46,7 cm, Detroit Institute of Arts.

Cette œuvre est l’une des dernières scènes nocturnes de Hiester Reid et l’une des plus accomplies. Ici, l’artiste représente sa propre communauté résidentielle durant la nuit et la place au-delà d’un plan d’eau qui se trouve au premier plan. Cette composition met l’accent sur la façon dont la maison des Reid, et toutes celles qui l’entourent, ont été conçues pour se fondre dans le paysage.

L’aménagement de Wychwood Park a d’abord été réalisé par le peintre paysagiste Marmaduke Matthews (1837-1913) en 1874, qui, à l’époque, appelle sa maison Wychwood. Le secteur finit par devenir une enclave résidentielle privée de neuf hectares située au nord-ouest du centre-ville de Toronto. Les concepteurs responsables de l’aménagement de Wychwood Park, à l’instar des artistes du mouvement esthétique, se sont inspirés des idées du critique d’art britannique John Ruskin (1819-1900) qui avait déclaré, dans ses Oxford Lectures on Art de 1870, que l’art avait la capacité d’unir beauté et moralité. Alla Myzelev explique alors que « les habitants de Wychwood ont créé la première communauté artistique qui mélangeait les valeurs traditionnelles de la classe moyenne avec des inspirations artistiques […], Wychwood Park a été l’une des premières banlieues à mettre en œuvre les idées du concept de la cité-jardin. L’influence de la cité-jardin a mené à l’intégration du paysage ontarien dans sa conception et son architecture, et on croyait aussi qu’elle offrait les valeurs immatérielles de la santé émotionnelle et morale. »

S’appuyant sur les priorités du mouvement esthétique ainsi que sur celles du mouvement Arts and Crafts britannique et américain, le mari de Hiester Reid, George Reid, ancien apprenti architecte, conçoit une maison en stuc de deux étages intégrée au paysage environnant. Cela rappelle ses affirmations lors d’une conférence donnée en 1891 aux membres du Toronto Architectural Sketch Club, où il avait déclaré : « Le principal défaut des conceptions architecturales modernes est la disposition à rechercher une symétrie parfaite, mais l’architecte qui s’inspire de la nature reconnaît que la symétrie parfaite est autant abhorrée par la nature que le vide ». Hiester Reid était alors responsable de la conception des jardins. Les Reid nomment la maison Upland Cottage, car elle est située sur la crête d’une colline de leur propriété. Comme en témoigne cette œuvre finalement, la résidence du couple s’inscrit en cohérence avec l’appréciation et le respect qu’ils éprouvent envers leur environnement naturel.

Cette unification de la conception architecturale et du monde naturel est l’une des principales convictions du mouvement Arts and Crafts. Membre de la Arts and Crafts Society in Canada, fondée à Toronto en 1902, Hiester Reid témoigne de sa conscience et de son engagement envers ce mouvement par sa prédilection pour une palette chromatique restreinte. Elle peint le quartier de Wychwood Park de sorte qu’il est pratiquement impossible de distinguer chacune des maisons. La communauté est engloutie par les ombrages sombres, et la silhouette des arbres environnants se dresse contre les rayons décroissants du soleil couchant qui illuminent le ciel à l’arrière-plan. La présence de Wychwood Park n’est évoquée que dans le titre de l’œuvre et dans ce qui semble être des trouées spontanées de couleurs chaudes, rouges et oranges, suggérant la lumière d’une lampe.

 

Télécharger Télécharger