Monstre marin tue par Les françois s. d.
Pour ouvrir la section sur les poissons du Codex canadensis, Louis Nicolas a choisi de donner la vedette à quatre créatures extraordinaires : un homme marin, des insectes, et des grenouilles énormes et bruyantes. On soupçonne déjà que Nicolas classe parmi les poissons tout être vivant dans ou proche de l’eau, de la grenouille à la baleine. Il a d’ailleurs évoqué l’eau dans son dessin par toute une série de hachures en zigzag. Comme la « Licorne de la mer rouge », ces quatre figures témoignent de la tendance de Nicolas à commencer ou à clore chaque section par des exemples de créatures fantastiques ou miraculeuses.
Dans le haut de la page, on commence par nous dépeindre un « Monstre marin tue par Les françois sur La riviere de richelieu En nouvelle France », soit un poisson à tête humaine. Cette singulière créature était certainement inspirée par une image de l’un ou l’autre des nombreux auteurs de la période. Le père Pierre François Xavier de Charlevoix, un jésuite avec la réputation d’avoir été le premier historien de la Nouvelle-France, renvoie au rapport d’un « vieux missionnaire » qui prétend avoir vu un monstre marin « dans la rivière de Sorel », autre nom de la rivière Richelieu. Charlevoix regrette que son auteur n’ait pas fourni une meilleure description de la créature. Il s’étonne aussi que personne ne l’aie vue avant son arrivée à Chambly, près de Montréal.
À droite du monstre marin, Louis Nicolas a représenté deux images de « mouche luisante », « quon voit » au dire de la légende, « a miliers sur le soir dun beau jour sur les rives du fleve st. Laurent En amerique » (fig. 1 et 2). Nicolas mentionne aussi les mouches à feu dans son Histoire naturelle des Indes occidentales, sur un ton de franche admiration : « Parmi les choses qui sont admirables sur les terres de l’Amérique, je trouve que la mouche à feu n’y doit pas tenir le dernier rang, car, à la bien considérer, on dirait que c’est un astre vivant ».
La « grenouille a cue fort venimeuse » que l’on trouverait sur les bords du Saint-Laurent (fig. 3) suppose que Louis Nicolas ne connaissait pas la métamorphose de la grenouille. Il est normal pour une grenouille d’avoir une queue avant d’atteindre sa forme adulte. Ce n’est pas avant la fin du dix-huitième siècle que ce fait biologique sera établi par Bernard Germain, Comte de Lacépède, disciple de Buffon, dans son Histoire générale et particulière des quadrupèdes ovipares et des serpents, 1788-89.
Enfin, la « grosse grenouille verte », au bas de la page, si l’on en croit la légende, se fait entendre jusqu’à « Deux Lieues » de distance quand elle croasse.
Ces quatre extraordinaires créatures démontrent que l’ex-jésuite, malgré ses connaissances et ses voyages, pouvait être la victime de ses croyances.