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Cheval et train 1954

Alex Colville, Cheval et train, 1954

Alex Colville, Horse and Train (Cheval et train), 1954
Tempera à la caséine sur panneau dur, 41,2 x 54,2 cm
Galerie d’art de Hamilton

Art Canada Institute,  Alex Colville, Study for Horse and Train, 1954
Alex Colville, Study for Horse and Train (Étude pour Cheval et train), 1954, encre noire sur papier, 27,2 x 16,6 cm, collection privée. Colville a inscrit une ligne du poème de Roy Campbell « Dedication to Mary Campbell » (1949) dans son dessin : « a dark horse against an armoured train (un cheval noir contre un train blindé). »

Cheval et train de Colville est l’une des images les plus reconnaissables de l’art canadien et incarne l’essence de la singularité de son œuvre. Les dualités contradictoires de la nature et de la machine, de l’ordre et du chaos, du monde éveillé et du monde des cauchemars sont toutes suggérées dans cette image simple, emblématique. Il est tentant de voir en ce petit tableau une réponse au surréalisme, avec ses juxtapositions discordantes, mais la genèse de Cheval et train se trouve plutôt dans un poème de l’auteur sud-africain Roy Campbell (1901-1957) :

 

Je méprise le pas de l’oie de leur attaque groupée
Et me bat avec ma guitare en bandoulière sur le dos,
Contre un régiment, j’oppose un cerveau
Et un cheval noir contre un train blindé.

 

Campbell fait le tour de l’Amérique du Nord en 1953, dont un arrêt à l’Université Mount Allison à Sackville, au Nouveau-Brunswick, pour une séance de lecture, et c’est là que Colville rencontre le poète. Un croquis daté de mars 1954, où figurent des dessins préparatoires pour Cheval et train, comporte ces lignes du poème, écrites de la main de Colville.

 

En 1954, Colville doit encore en arriver à déterminer le médium qu’il allait employer de manière systématique. Bien que certains tableaux de cette période soient à l’huile, la plupart sont à la tempera. Cette œuvre, à la tempera à la caséine, montre le style pointilliste, signature de Colville, avec sa surface composée de milliers de minuscules traits de couleur pure, quoique sourde. Le glacis sur la surface capte la lumière, créant un effet atmosphérique de profondeur dans une peinture entièrement dépourvue de texture de surface.

 

Le moment représenté est figé au moment où la tension est à son paroxysme. Le train amorce une courbe quelques secondes avant que sa lumière n’illumine le cheval noir. Ce moment est visiblement tiré de l’imagination de Colville — aucun cheval ne galoperait de son plein gré sur un chemin de fer, la surface de gravier entre les traverses en bois étant trop dangereuse.

 

Comme avec le poème de Campbell, cette image oppose un individu au poids mécanisé du progrès — une sombre perspective, comme le sait trop bien Colville marqué par son service militaire. Ses croquis de guerre montrent l’une des scènes les plus fréquentes sur le champ de bataille de la Seconde Guerre mondiale — les animaux utilisés par l’armée pour tirer les fournitures et l’artillerie, morts ou mourants, entassés les uns sur les autres, comme Dead Horse (Cheval mort), 1945. Désespéré ou non, Colville oppose dans cette œuvre la volonté de l’individu à la fatalité collective, historique et mécanique.

 

Art Canada Institute,  Alex Colville, Sketch Drawing, A Dead Horse, 1945
Alex Colville, Sketch Drawing, A Dead Horse (Esquisse, Un cheval mort), 1945, crayon de couleur sur papier, 27,4 x 35,8 cm, Collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa. Cette esquisse a été achevée près de Sonsbeck, Allemagne, le 7 mars 1945.

C’est là une peinture profondément romantique, qui représente une charge dans le néant, mais elle est aussi réfléchie. Au cours des années 1950, Colville s’intéresse à la philosophie existentialiste. Il est bien au fait des écrits de Jean-Paul Sartre (1905-1980) et d’Albert Camus (1913-1960), entre autres, et l’idée que la volonté humaine individuelle maintienne son action par l’opposition ou la rébellion n’est pas inconnue des artistes majeurs de l’époque. Cheval et train révèle de nombreuses interprétations possibles. Est-ce une métaphore de la vie humaine, le cheval représentant l’individu, la voie ferrée, le temps, et le train, la mort? L’artiste regrette-t-il la mécanisation du monde et ses effets déplorables sur la nature? Comme l’observe le conservateur David Burnett, peu importe l’interprétation qu’on lui donne, l’impact du tableau demeure le même : « Une façon de voir un cheval noir n’en exclut pas d’autres… Toutes les interprétations sont poétiquement aiguisées par la stupéfaction et la surprise ressenties devant l’image.  »

 

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