Une gerbe de fleurs 1884
Œuvre d’une simplicité trompeuse, Une gerbe de fleurs, 1884, représente des jeunes filles assises sur une colline qui fabriquent une couronne de fleurs. Créée lors de la visite de Brymner à Runswick Bay, dans le Yorkshire, de mai à novembre 1884 (il a travaillé sur cette peinture périodiquement tout au long de sa visite, la terminant peu avant de quitter le village), cette œuvre est un succès critique et un tournant dans sa jeune carrière d’artiste. À l’époque, il décrit cette toile comme son magnum opus et se ronge les sangs pour savoir s’il devrait la soumettre à la Royal Academy de Londres ou à l’Académie royale des arts du Canada (ARC) pour une exposition — en fin de compte, il opte pour cette dernière. Aujourd’hui, beaucoup considèrent Une gerbe de fleurs comme son tableau le plus connu.
À l’été 1884, le peintre canadien s’entête pour vendre davantage de ses œuvres afin de ne plus avoir à demander de l’argent à son père. Le voyage dans le Yorkshire est stratégique : il pense qu’il sera abordable et il a entendu dire « que les sujets anglais se vendent beaucoup mieux en Angleterre que les sujets étrangers. » Au cours de l’été, il planche sur un certain nombre de tableaux différents, notamment One Summer’s Day (Journée d’été), 1884.
Au début de l’été, Brymner établit la composition d’Une gerbe de fleurs et commence un certain nombre de croquis. Il rencontre plusieurs personnes dans la communauté et il demande à des enfants de la région de poser pour lui. Bien qu’il ne note pas leurs noms, il remarque à quel point ils sont des modèles exigeants : « Les difficultés à peindre des enfants de la taille des miens sont terribles. Garder la pose pendant deux minutes, puis faire quelque chose de complètement différent pendant dix minutes me rend presque fou parfois, mais ils sont plus beaux que tout, ce qui me retient. » La présence de nuages dans le tableau est révélatrice, car l’artiste ne travaille pas quand le temps est « trop ensoleillé ». Les tons sont donc doux — tel un reflet de la lumière diffuse.
En ce qui a trait à la composition, l’œuvre est à la fois complexe et surprenante. La coupe diagonale du paysage est spectaculaire et le flanc de la colline est gorgé de fleurs sauvages, de rochers et de touffes d’herbes. Les silhouettes des fillettes sont nettes et claires, mais certaines parties du paysage sont floues, presqu’à moitié effacées. Les couleurs créent des échos et un équilibre dans toute la scène; le ciel bleu et la blouse aux nuances grises de la petite fille au centre du groupe imprègnent l’œuvre d’une impression générale de calme — même le bonnet rose de la gamine de droite et le tablier de la même couleur de celle de gauche tirent sur le gris. Sur le plan stylistique, cette toile est typique de l’œuvre de Brymner en ce sens qu’elle se refuse à toute étiquette précise. Les figures délicatement modelées témoignent de l’influence de la formation académique française de l’artiste canadien et, sans doute, de celle de son professeur William Bouguereau (1825-1905). La scène, campée à l’extérieur, reflète l’attachement de Brymner envers la peinture de plein air, une pratique dont il connaît l’importance pour de nombreux artistes français modernes, tel Édouard Manet (1832-1883). En rassemblant ces différentes stratégies artistiques, le peintre révèle l’importance qu’il accorde à l’innovation et son refus de se confiner à un style en particulier.
Lorsqu’Une gerbe de fleurs est exposée à la Art Association of Montreal (AAM) en 1885, un critique écrit que les œuvres de Brymner « ont déjà été exposées ici, mais celle-ci est nettement supérieure à tous ses efforts précédents. » En 1886, elle compte parmi les œuvres présentées dans le cadre de la Colonial and Indian Exhibition (Exposition coloniale et indienne) à Londres. La même année, le peintre canadien devient membre à part entière de l’ARC. À l’époque, chaque nouveau membre doit donner l’une de ses œuvres en guise de « morceau de réception » à l’occasion de son élection. William Brymner fait don d‘Une gerbe de fleurs.