Vainqueur 1993

Tim Whiten, Victor (Vainqueur), 1993
Bois et miroir, 198,1 x 86,4 x 38,1 cm
Tom Thomson Art Gallery, Owen Sound, Ontario
Dans les années 1990, Whiten produit une série d’œuvres tridimensionnelles à l’aide de miroirs. Dans Draw (Tirage) et Vault (Voûte), toutes deux de 1993, les miroirs servent à impliquer la personne spectatrice en capturant son reflet en partie ou en totalité. En revanche, dans Vainqueur, le reflet de la personne est entravé. Ici, un miroir en pied est placé dans un cadre en bois de la taille d’une porte. Dans le cadre se trouve l’image frontale opaque d’un homme debout sur un seuil incliné. La surface grise et peinte de la figure est le dos d’un miroir; essentiellement, les deux miroirs sont placés face à face. En s’approchant de l’œuvre, notre propre image se fusionne avec cette silhouette tandis que les bords de la figure, cerclés d’or, semblent se réfléchir à l’infini, produisant un champ intense d’énergie visuelle.

Dans des œuvres antérieures de Whiten, telles qu’Ark (Arche), 1976, et Ch-air (Chaise), 1992, et dans des séries telles que Descendants of Parsifal (Descendants de Parsifal), 1986, la figure humaine est représentée in absentia. La présence est exprimée par des traces corporelles et des marques temporelles : crânes, os, cheveux, dents, gomme à mâcher. Dans ses autres œuvres avec des miroirs, la figure humaine est introduite par l’entremise du reflet de la personne spectatrice. En revanche, la figure humaine dans Vainqueur est représentée sous la forme d’une silhouette grandeur nature de l’artiste.
Compte tenu de l’ampleur de l’œuvre, lorsque nous sommes devant elle, confronté·es à elle, toute approche intellectuelle se mue en une expérience physique. Le cadre de la porte symbolise une entrée, un portail – dans ce cas, vers l’inconnu ou l’étranger, rappelant le roman de Lewis Carroll de 1871, De l’autre côté du miroir, et le monde fantastique qui se trouve derrière la surface miroitante où tout est inversé.
Le titre Vainqueur suggère la maîtrise, la réussite, le fait de vaincre un adversaire. La notion de victoire dans le combat est sous-entendue. Pourtant, qui est la personne victorieuse? La figure représentée ici suggère le « moi de l’ombre » en termes jungiens, le moi négatif ou inconscient, qui bloque la perception de soi – le moi en l’absence de lumière. Le « vainqueur » se révèle être la personne qui garde le seuil, l’obstacle à la porte qui tempère notre rythme.
Dans Vainqueur, le miroir désigne les conditions de la conscience, de la connaissance de soi et de l’introspection. En regardant ses surfaces, nous ne percevons ni n’expérimentons notre propre reflet. Nous sommes plutôt absorbé·es par l’étendue plate et limitée de cette ombre sans dimensions. Affronter cette image de soi est le premier point d’entrée dans ce voyage de découverte de soi. Comme le rappelle Whiten en citant le Nouveau Testament : « À présent, nous ne voyons qu’une image confuse, pareille à celle d’un vieux miroir; mais alors, nous verrons face à face. À présent, je ne connais qu’incomplètement; mais alors, je connaîtrai Dieu complètement, comme lui-même me connaît. »