Chanceux, chanceux, chanceux 2010

Tim Whiten, Lucky, Lucky, Lucky (Chanceux, chanceux, chanceux), 2010
Verre décapé au jet de sable à la main, 58,4 x 109,2 x 33 cm
Art Gallery of Hamilton
Après ses premières explorations avec le verre en 1983, Whiten produit un nombre important d’œuvres à l’aide de ce matériau, attiré par sa capacité à emprunter des formes, des couleurs et des états divers, ainsi qu’à transmettre la lumière. Chanceux, chanceux, chanceux ressemble à un cheval à bascule pour enfants et fait partie d’une série d’objets grandeur nature moulés en verre qui rappellent des jouets d’enfants, dont le tricycle en verre dans After Ethan’s Wheels (Après les roues d’Ethan), 2010, et le traîneau en verre dans Travel Stik (Bâton de voyage), 2012. Dans ces œuvres, l’artiste souligne le pouvoir du jeu qui nous transporte dans d’autres univers en faisant appel à notre imagination.


Whiten révèle que la source d’inspiration de Chanceux, chanceux, chanceux est la nouvelle intitulée « Le cheval ensorcelé » de D. H. Lawrence. Dans cet écrit de 1926, Paul, un enfant clairvoyant aux grands yeux bleus étranges habités d’une « flamme froide », est capable de prédire les vainqueurs des courses, en montant sur un cheval à bascule en bois. Se bercer est un mouvement archétypal : le bercement d’un berceau ou d’une chaise – d’avant en arrière, de manière active et passive, qui entre et ressort – exprime les gestes de la respiration et du rituel. Dans le récit de Lawrence, le mouvement de bascule du cheval-jouet permet à l’enfant d’entrer dans une autre dimension où il arrive à prédire quels chevaux gagneront les courses. Il gagne ainsi de l’argent pour soutenir les ambitions sociales de sa mère. Par ces mouvements rythmiques répétitifs, il se transforme lui-même et finit par succomber à l’épuisement en montant sur le cheval à bascule, victime de sa quête de richesse.
Chanceux, chanceux, chanceux est une œuvre porteuse de symbolisme. Pour illustrer un passage rapide, le cheval est souvent conçu comme un véhicule corporel, tandis que la personne qui le monte représente l’esprit; dans d’autres traditions, ces rôles sont inversés. Le cheval à bascule de Whiten est fabriqué en verre bleu, une couleur associée à la vérité, à l’intelligence et à la révélation. Ici, le verre bleu rappelle les yeux de l’enfant et la vision. Le verre lui-même est un véhicule de transmission qui laisse passer la lumière. Transformé par le feu, c’est un matériau capable de se présenter sous différents états. Le cheval à bascule en verre bleu de Whiten prive ce « jouet » de son application pratique et lui confère des propriétés magiques – dans ce contexte, les pouvoirs divinatoires de Paul. En tant que symbole, l’enfant incarne la potentialité et l’innocence. Il souligne également la transformation de l’individu, qui renaît dans la perfection. « Les enfants qui peuvent imaginer sont la clé de la conscience », fait remarquer l’artiste.