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Orage 1960

Takao Tanabe, Orage, 1960

Takao Tanabe, Storm (Orage), 1960

Encre sumi et aquarelle sur papier washi, 67 x 34,5 cm

Musée des beaux-arts de Vancouver

Œuvre à l’énergie et à l’esprit remarquablement contenus, Orage est un paysage des plus abstraits où l’on distingue néanmoins des arbres au-dessus desquels flottent des nuages. Dans le haut de la composition, le nuage est fait de contrastes – à gauche, des coups de pinceau chargés d’un pigment noir saturé, et à droite, des zones d’un gris plus pâle. Les teintes chatoyantes évoquent le mouvement atmosphérique des tempêtes, mais la composition donne aussi à voir une série complexe d’actions picturales. Il y a à la fois de la profondeur et de l’aplat; les trois petites taches de rose et de bleu laissent deviner la tridimensionnalité.

 

Franz Kline, Cupola, 1958-1960, huile sur toile, 198,1 x 269,9 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Takao Tanabe peint au Japon, v.1960, photographie non attribuée.

Tanabe réalise cette œuvre fort d’une confiance nouvelle, acquise lors de son premier et particulièrement marquant voyage au Japon, à la fin des années 1950. Dans sa création, Tanabe recourt à de l’encre et à du papier sumi japonais, mais la calligraphie vigoureuse des coups de pinceau évoque le travail d’expressionnistes abstraits tels que Franz Kline (1910-1962) plutôt que les traditions picturales japonaises. L’encre sumi, à base de colza brûlé ou de suie de pin, est diluée avec de l’eau et permet une variété presque infinie de nuances entre le noir profond et les gris pâles. Dans Orage, la gamme des nuances de l’encre sumi est notable.

 

En 1959, Tanabe reçoit une bourse du Conseil des arts du Canada qui lui permet de se rendre au Japon, où il séjourne à Tokyo entre 1959 et 1961. Deux raisons motivent l’artiste à visiter ce pays. En tant que personne d’ascendance japonaise déracinée de son foyer et placée dans un camp d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale, Tanabe est troublé par sa relation avec son héritage. Comme il l’explique lui-même, il se demande : « Suis-je Japonais? » Il croit que ce voyage lui permettra de répondre à cette question. La deuxième raison relève de sa pratique artistique – Tanabe souhaite étudier le sumi-e, la peinture à l’encre noire, ainsi que la calligraphie japonaise avec les maîtres Ikuo Hirayama (1930-2009) et Yanagida Taiun (1902-1990), un calligraphe dont le travail s’inscrit dans la tradition zen et qui est connu pour ses œuvres à grande échelle réalisées d’un seul trait.

 

Au Japon, Tanabe produit des peintures dans des formes plus traditionnelles, comme Blossoms (Floraisons), 1960, de même que plus expérimentales, comme Raked Sand and Stones (Sable ratissé et pierres), 1960. Hirayama lui montre à copier des peintures selon un certain type de travail au pinceau, ce qui permet à Tanabe de se familiariser avec ces outils japonais et le moyen d’expression lui-même. Dans le sumi-e comme dans la calligraphie, l’artiste doit faire preuve de détermination dans ses actions. L’extrême absorption du papier signifie qu’aucune correction n’est possible. Si une erreur est commise, l’œuvre est gâchée.

 

Takao Tanabe, Raked Sand and Stones (Sable ratissé et pierres), 1960, encre sumi, 46 x 90 cm, Art Gallery of Greater Victoria.
Takao Tanabe, croquis à l’encre, 1960, carnet de croquis de Takao Tanabe, Japon 1960, Fonds Takao Tanabe, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

En 2002, lors du processus de donation d’Orage au Musée des beaux-arts de Vancouver, Tanabe écrit :

 

Le principal défi de mon séjour au Japon […] était d’étudier le sumi-e (encre sumi sur un papier très absorbant) et les méthodes de travail calligraphiques. Quelle influence, s’il y en a une, les méthodes calligraphiques japonaises ont-elles eue sur quelqu’un comme Franz Kline? La calligraphie en herbe ou cursive a, en effet, beaucoup de points communs, en surface, due à son style expressionniste. Cependant, il ne faut pas oublier que, même si les traits du mot sont abstraits, il y a toujours un idéogramme de base intégré dans l’œuvre calligraphiée. Pour les personnes japonaises, il y a une signification, mais pour nous, en Occident, elle est dépourvue du sens qui est à l’origine du processus, l’idéogramme. Nous les considérons comme des œuvres abstraites.

 

Ce passage révèle que Tanabe est conscient de l’influence de la calligraphie et de la peinture à l’encre de l’Asie orientale sur les peintres de l’abstraction américaine, comme Kline et Mark Tobey (1890-1976), qui ont activement promu les œuvres des calligraphes modernes. Tanabe comprend que c’est précisément parce que ces artistes ne peuvent pas lire l’écriture japonaise que la calligraphie les attire; les styles abrégés et expressionnistes des idéogrammes leur apparaissent comme des formes non représentatives. Même si Tanabe ne peut pas non plus lire l’écriture japonaise, son intérêt pour la recherche au-delà des affinités formelles de surface le pousse à explorer ces pratiques et leurs applications contemporaines.

 

Bien que les peintures sumi-e produites par Tanabe se limitent pour la plupart à son séjour au Japon, l’approche résolue que demande ce moyen d’expression lui permet d’acquérir une assurance créative qui sera significative dans l’exécution de ses paysages de prairies ultérieurs.

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