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Temps et éternité 1908

Sophie Pemberton, Temps et éternité, 1908

Sophie Pemberton, Time and Eternity (Temps et éternité), 1908
Huile sur toile, 37 x 39 cm
Art Gallery of Greater Victoria

Pemberton peint cette toile par une froide journée d’hiver depuis une colline proéminente de Victoria. Alors que le public aurait pu s’attendre à une vue classique du mont Baker, Pemberton lui donne une autre tournure. La montagne est visible au loin, au-delà de la bande de terre boisée et des petites îles situées sous son point de vue, mais elle n’est pas le point central de sa composition. L’artiste croque plutôt les restes tordus d’un chêne de Garry mort depuis longtemps, à l’aspect désolé comme s’il avait été ravagé par la guerre. Juste à gauche se trouve un jeune chêne de Garry, reconnaissable à son unique feuille brune desséchée, ayant poussé à partir d’un gland délaissé des années plus tôt par l’arbre aujourd’hui en décomposition.

 

Le titre évoque la régénération, la vie nouvelle auprès de l’ancienne, mais aussi la montagne enneigée immuable. Le temps est représenté par le cycle de vie de l’arbre, et l’éternité, le volcan dormant du mont Baker, est une présence immuable, en contraste avec le destin éphémère des chênes de Garry qui changent de manière tangible, au fil des ans.

 

Loin d’être un paysage pittoresque, Temps et éternité est l’une des rares « œuvres de réflexion » du corpus de Pemberton, un revirement conceptuel de l’image à l’idée. Elle est très différente de Mosquito Island (L’île aux moustiques), 1907, dans laquelle Pemberton met l’accent sur la convivialité de la scène et la splendeur du mont Baker. Ici, le chêne mort est le sujet principal et occupe la majeure partie de la toile. La torsion des branches et les jeux d’ombre et de lumière sur les surfaces abîmées par le temps captent l’attention. En 1909, un critique londonien se plaint expressément de cette composition : « En éliminant les détails non essentiels du premier plan, elle aurait obtenu quelque chose de comparable aux chefs-d’œuvre japonais dans lesquels Fujiyama, symbole éternel de la beauté d’un autre monde, gronde silencieusement l’éphémère. »

 

Katsushika Hokusai, Orage sous le sommet (Sanka haku-u), v.1830-1832, gravure sur bois, encre et couleur sur papier, 25,7 x 38,4 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.
Tom Thomson, The Dead Pine (Le pin mort), s.d., huile sur bois, 26,7 x 21,4 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

Pemberton peint cette toile au début de l’année 1908, à un moment particulièrement difficile de sa vie et de son mariage avec le chanoine Arthur Beanlands. Elle va bientôt subir une grave intervention chirurgicale et être hospitalisée pendant presque deux mois. La composition peut avoir été influencée par son intention de quitter le presbytère de Victoria et de retourner en Angleterre. Le tableau est inhabituel, non seulement par l’assemblage de motifs qu’il constitue, mais aussi par l’espace aplani et les détails expurgés de son style habituel. Parmi les tableaux connus de Pemberton, Temps et éternité est l’un des rares à adopter une approche postimpressionniste pour exprimer son humeur et ses sentiments. Elle rejette ses valeurs conservatrices antérieures pour s’intéresser aux idées modernistes et mener des expérimentations formelles.

 

Un critique londonien reconnaît cette progression dans une revue de son exposition de 1909 à la Doré Gallery londonienne : « L’œuvre de Mme Beanlands porte en elle quelque chose de plus qu’une simple tentative de représentation du paysage et du climat […] elle révèle un sentiment de mystère difficile à expliquer. » Son ami Harold Mortimer-Lamb (1872-1970), fin connaisseur d’art, écrivain, photographe et mécène, achète le tableau lorsqu’il visite Pemberton en Angleterre en 1910, et le conserve dans sa collection jusqu’à son décès.

 

The Dead Pine (Le pin mort), s.d., de Tom Thomson (1877-1917), présente une composition similaire : au premier plan central se trouve l’enveloppe squelettique d’un arbre autrefois florissant qui détourne le regard du rythme pittoresque imposé par le lac, le rivage et les collines lointaines. Autour de cette carcasse brisée et de ses feuilles écarlates, des semis plus petits suggèrent le renouveau. Les critiques laissent entendre que pour Thomson, l’arbre a pu représenter les difficultés de la vie ou sa préoccupation pour la Grande Guerre, au cours de laquelle certains de ses amis proches se sont battus. De toute évidence, cette peinture est une « œuvre de réflexion » qui n’est pas sans rappeler Temps et éternité de Pemberton.

 

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