Mon portrait 1899
Ce petit tableau réalisé à l’huile transcrit un intense moment de concentration. Afin de se représenter, Leduc doit utiliser un miroir. Il se présente de face, fixant directement la glace (le spectateur), le buste légèrement de profil. La disposition de la chemise blanche indique que son corps est placé en oblique par rapport à la surface à peindre vers laquelle il doit se tourner pour reproduire l’objet de son observation. Le visage de l’artiste posé sur un vêtement noir surgit d’un fond sombre.
Ce n’est cependant pas l’acte de peindre que Leduc reprend ici. Il ne s’agit pas d’un rendu réaliste ou en trompe-l’œil de son visage comme il serait capable de le produire. Le visage devient un territoire expressif masqué par les effets du clair-obscur. Le bas de la figure qui montre des lèvres sensuelles disparaît sous une dense barbe foncée. Les joues empourprées semblent déchirées par les coups de spatule qui les creusent. L’arête du nez long et droit agit comme l’axe de la tête qu’il étire et dont on remarque surtout les yeux. C’est ce regard direct, grave, mystérieux, venu d’orbites profondes, qui anime le visage surmonté d’un immense front dégarni pleinement éclairé et lui aussi défini par l’épaisseur de la couche picturale.
Le visage de Leduc réunit l’opposition entre un monde voluptueux et charnel présenté dans la pénombre et un autre plus clair et lumineux associé au front. L’effigie réunit le monde de l’idée, associé à la partie supérieure, à celui des sens situé dans le bas. Le dessin y disparaît au profit du travail du pinceau ou de la spatule. De plus, le fond du tableau complètement opaque force toute l’attention sur les parties claires qui font corps avec cet environnement ténébreux. L’artiste surgit du monde de l’ombre pour étudier sa physionomie et nous permettre de l’observer alors qu’il nous fixe de manière déterminée.
Durant l’année 1899, date de cet autoportrait, Leduc est absorbé par la réalisation du décor de l’église de Saint-Hilaire. Cette année semble figurer comme un moment introspectif important si on en juge par les autoportraits qu’il réalise cette année-là. En effet, on retrouve également un autoportrait photographique dans lequel il se présente en train de se photographier, formant ainsi un couple avec son appareil. Il s’y montre comme un artiste qui met de l’avant les éléments de sa pratique, qui réfléchit sur les conditions de l’existence de l’œuvre. Même si la photographie joue surtout un rôle documentaire dans son travail de peintre, elle lui permet d’affirmer comment démarche, processus et inspiration sont intimement liés.